samedi 1 décembre 2007

Redford, lions, agneaux et cinéastes engagés

De Redford.
Je suis un fan de Robert Redford.
D'abord, c'est un très bon acteur, et avec le temps, il est devenu un producteur avec un oeil certain.
Mais si je suis un fan de Robert Redford, c'est que je suis un fan de Redford le réalisateur.
Il se fait rare, il faut l'avouer, avec sept films en vingt-sept ans, mais à chaque fois, j'aime. Alors je n'ai pas de quoi me plaindre.
J'ai découvert Redford comme cinéaste avec The River runs through it en 1992 et j'apprécie depuis la douceur, le calme et la subtilité de la tension dramatique dans son rythme quand il raconte une histoire. Il ne faut jamais être pressé quand on voit un film de Redford, jamais non plus s'attendre à de l'action enlevante ni à une ligne narrative prévisible. Pourtant, ses films ne sont pas dépourvus de tension et de moments forts ou surprenants (Quiz Show est un petit chef d'oeuvre dans le genre) et ils sont toujours peuplés de personnages intéressants et qui ont de la profondeur et du caractère. Aussi, le réalisateur Redford a tendance à tourner des films à scénario, relativement bavards, ce qui me plait toujours lorsque c'est aussi bien écrit. Il favorise l'introspection mais en passant par les dialogues pour provoquer les remises en question.
Enfin, il favorise une direction photo claire et nette, des mouvemenets de caméras limités et de beaux plans séquences, ce qui contraste également avec la mode des jeunes réalisateurs à la caméra parkinsonnienne, et ma foi, j'aime bien cette vieille manière de faire du cinéma où le film est au service de son scénario. Ce faisant, les films de Redford ne sont pas que de bons films, ils sont de beaux films également. Dans le genre, The Horse Whisperer est un véritable délice visuel en plus de raconter une histoire intéressante.
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De lions et d'agneaux.
Lions for Lambs, le nouveau film de Robert Redford - et son premier film en 7 ans - est présentement à l'affiche, et j'ai eu le plaisir de le voir en salle la semaine dernière.
Le film est divisé en trois segments parallèles bien distincts, qui se passent simultanément en trois endroits: Washington DC, Afghanistan et Californie.
Le premier segment concerne une journaliste (jouée en retenue par Meryl Streep) qui obtient une interview exclusive avec le jeune sénateur Irving (joué avec une effrayante efficacité par Tom Cruise) concernant sa nouvelle stratégie en Afghanistan.
Au moment-même où se déroule l'interview, deux soldats américains (joués par Derek Luke et Michael Pena) sont portés disparus lors d'une mission qui a mal tourné en sol afghan. Le second segment nous raconte ce qu'ils vivent dans les montagnes afghanes.
Pendant ce temps, Stephen Malley, professeur de sciences politiques à l'université (Redford, jouant le personnage qui porte le film à mes yeux), convoque Todd, un étudiant (Andrew Garfield, un acteur venu de la télé), pour parler de son orientation et son attitude. Cette entrevue constitue le troisième segment du film.
Le lien entre tous ces personnages, ce sont les deux soldats, qui participent au lancement de la mission selon la nouvelle orientation politique que le sénateur Irving tente de vendre à la journaliste Janine Roth. Ces deux soldats sont en fait deux anciens élèves de Malley et ce dernier se sert de leur exemple (sans savoir ce qu'ils vivent à ce moment-là) pour convaincre Todd de réfléchir à son avenir et son attitude.
J'ai trouvé Lions for Lambs très fort sur plusieurs points. Le premier, c'est qu'il s'agit d'un film engagé, qui mène le spectateur à la réflexion concernant l'engagement politique, militaire, et dans la vie en général et que je trouve toujours utile et intéressant les bons films engagés. Le film de Redford a toutefois quelque chose de plus important que son propos engagé; il ne porte pas de jugement de valeur sur les questions dont il traite, ou à tout le moins pas directement dans le scénario ou les dialogues eux-mêmes. Le segment du sénateur n'est pas traité avec cynisme et le sérieux des arguments de Irving a de quoi faire peur, d'autant plus qu'ils sont bons ou semblent l'être. Le film démontre ainsi comment quelques phrases bien tournées, quelques discussions bien menées, peuvent changer des mentalités, ou contrôler la manière dont l'information sera diffucée, et donc interprétée par les citoyens.
D'ailleurs, du côté du cynisme, Todd explore cette route un moment avant de se faire remettre sur la route de la réflexion par Malley et j'ai trouvé ce segment le plus fort des trois puisqu'il met en scène deux personnages auxquels j'ai pu m'identifier tour à tour. Il rappelle comment il est facile de décrier les dirigeants et de devenir cynique face à la chose politique, mais qu'en ne faisant rien, on laisse en quelque sorte le contrôle à ceux que l'on méprise. Le film ne se veut pas un prêche pour faire de la politique, encore moins pour s'engager dans l'armée, mais il force la réflexion sur la place que chacun veut occuper dans la société où il vit.
L'engagement des deux ex-étudiants de Malley, par exemple, est justifié de leur point de vue, mais Malley était contre. Pourtant, il se sert de leur décision pour dire à Todd que chacun doit occuper la place qu'il croit être la sienne avant de critiquer et d'user de cynisme. Cet engagement est donc un beau paradoxe, puisque l'on comprend les raisons des deux hommes de l'avoir fait, mais en les voyant dans l'hélico dans les montagnes afghanes, on se demande ce qu'ils foutent là. Et cette remise en question indirecte démontre aussi une grande partie de l'inutilité des affrontements.
Le segment en Afghanistan est peut-être le moins fort du film. Plus classique dans son ensemble (deux soldats blessés coincés dans les montagnes, l'ennemi approche, les renforts arriveront-ils à temps?), il n'offre que peu de dialogues à comparer aux deux autres, réalisés comme des affrontements physiques.
On pourrait croire que toute action politique et militaire dépend donc de la bonne volonté de chacun, ou au moins de son honnêteté intellectuelle. Lions for Lambs explore aussi cette question par le biais du personnage de Janine, la journaliste, quand celle-ci se retrouve face à son patron avec l'histoire du sénateur, qu'elle refuserait de sortir comme une information, puisque la chose sent plus la propagande et qu'elle croit devoir apporter un minimum de point de vue critique sur la question. Le patron ne voit pas les choses du même angle; s'il ne sort pas cette exclusivité, quelqu'un d'autre le fera, et il fait voir à Janine qu'elle-même n'a pas les moyens de risquer sa carrière, à son âge, sur la question.
Ce ne sont que des sommaires et des exemples des diverses avenues socio-politiques explorées par le film de Redford, qui démontre avec brio que rien n'est jamais aussi noir ou aussi blanc qu'on le voudrait. Ainsi, le film est un film engagé politiquement, et avec une forte prise dans l'actualité contemporaine, mais traite d'un sujet intemporel et c'est là une autre de ses forces.
Vous aurez compris que j'ai aimé le nouveau Redford et que je le recommande (il faut savoir à quoi s'attendre, par contre. Si le genre politico-bavard n'est pas votre style, vous risquez de trouver que l'affaire manque d'action).
J'ajouterais que c'est le premier film produit par le studio United Artist depuis que Tom Cruise en a pris la direction après le non-renouvellement de son contrat chez Paramount. Le film n'est pas un grand succès au box office (normal vu son sujet, je vous dirais), mais je suis content de l'affirmation artistique qu'a fait Cruise le producteur en ayant confié son premier produit à un réalisateur de la trempe de Robert Redford sur un sujet comme celui de Lions for Lambs.
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De cinéastes engagés.
Lions for Lambs n'est pas le premier film engagé de l'année. Loin de là, en fait. Avec des titres comme The Kite Runner, Redacted, Michael Clayron, The Kingdom et Rendition, pour nommer ceux qui me viennent en tête, le film politique semble faire un retour en force en 2007. Une bonne chose en ce qui concerne l'amateur que je suis, puisque ça donne souvent de bons films (J'ai aimé Rendition et Michael Clayton, je n'ai pas encore vu les trois autres cités), bien que dans la plupart des cas, le message est plus direct que dans Lions for Lambs, ce qui est aussi essentiel.
Il me semble que c'est une mode renouvellée depuis quelques années, si je regarde le nombre de films de premier plan de ce genre qui me viennent à l'esprit dans les trois dernières années. Lord of War, Blood Diamond, Good night and Good luck, The Constant Gardener...
la liste est bien incomplète, évidemment, mais il me semble que chacun de ces films, à quelque part, doit son existence au film Syriana, qui a en quelque sorte pavé la voie alors que ce genre de film n'était pas le bienvenue dans l'opinion publique américaine.

Syriana demeure aussi l'un des meilleurs films du genre, sinon le meilleur, et si je dis qu'il a pavé la voie, c'est que ses créateurs se faisaient qualifier de traitres lorsqu'ils ont lancé ce projet de film et ils auraient donc été des personnages intéressants dans les discussions de Lions for Lambs, non?
Il y a des noms qui reviennent à quelques reprises dans les films cités ci haut. Par exemple, The Kingdom et Lions for Lambs ont tous les deux été scénarisés par Matthew Michael Carnahan. L'auteur est à surveiller.
Deux noms communs à plusieurs de ces films sont ceux de l'acteur-producteur et réalisateur George Clooney et son collaborateur régulier, le réalisateur et producteur Steven Soderbergh, pour Syriana, Good night and Good luck et Michael Clayton.
Clooney est aussi impliqué dans divers autres projets cinéma politiquement engagés, dont le documentaire Darfur Now présentement en salles. L'acteur était aussi l'une des trois têtes d'affiche de Three Kings, un autre film politiquement engagé (sorti en 1999) qui avait pour sujet la premiere invasion de l'Irak.
Bref, il est bon de voir que les graines semées par Syriana continuent de porter fruit et qu'Hollywood peut et veut faire de genre de fiction. Car bien que j'admire le courage de Tom Cruise pour avoir mis en chantier un film comme Lions for Lambs, je doute qu'il aurait eu ce courage en 2003 alors que Clooney et Soderbergh fonçaient dans Syriana.
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D'ailleurs, parlant de Steven Soderbergh et de films politiques, ses deux prochains films, Guerrilla et The Argentine, ont pour personnage principal Ernesto Che Guevara. Vous imaginez à quel point j'attendrai ces deux films avec impatience...

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