vendredi 17 octobre 2008

Les Écueils du temps (La Suite du temps)

Il y a quelques semaines, je soulignais la sortie du nouveau roman de Daniel Sernine; Les Écueils du temps en publiant sur ce blogue un entretien (en deux parties) avec l'auteur.
Même si je pense que mon intérêt pour l'oeuvre de Sernine en général et sa Suite du temps en particulier est apparent pour qui lit l'interview, je crois pertinent de publier dans un billet à part, ma critique du livre en question.
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Je ne cache pas que Daniel Sernine est devenu un ami personnel au fil des ans, et qu'il s'agit d'un auteur qui a contribué à ma découverte de la très bonne littérature de genre qui est offerte au lecteur par des auteurs québécois. Mais cet aspect des choses ne m'empêchera certainement pas de commenter ici un roman qui est définitivement parmi les meilleurs que j'ai lu cette année, tous genres et origines confondus.
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Impossible de parler des Écueils du temps sans aussi parler des Archipels du temps. Les deux romans, qui font suite aux Méandres du temps, peuvent être lus sans avoir lu le premier volet - publié originalement il y a 25 ans. Par contre, je ne comprendrais pas le lecteur qui se prive ainsi du plaisir de lire l'ensemble de la trilogie.
Les Écueils et Les Archipels sont tous deux des suites narratives, c'est-à-dire une suite d'épisodes plus ou moins éloignés dans le temps, et chacun des romans raconte son histoire via ces épisodes dans la vie des principaux personnages. L'ensemble n'est donc pas linéaire et Les Écueils du temps n'est donc pas une suite au sens traditionnel du terme, puisque plus de la moitié de l'action du roman se situe avant la fin des Archipels du temps.
Des questions? :-)
En fait, si j'insiste d'entrée de jeu sur la structure narrative de ce roman, c'est que c'est un aspect ingénieux des Écueils (et des Archipels) et que cette idée contribue à augmenter le plaisir que l'on a à lire cette histoire.
À la fin des Méandres du temps, le lecteur était laissé avec la "Prophétie des Lunes", que le métapse Karilian avait entr'aperçu dans le continuum psi. Un des volets de cette prophétie était la guerre entre la Terre et Érymède, l'autre était la possible extinction de l'humanité. Les Archipels du temps racontait l'évolution du premier volet, Les Écueils met en scène la possible disparition de l'humanité. Nous suivons dans les deux romans l'évolution de Nicolas Dérec, de ses proches et de ceux qui le surveillent et le soupçonnent de jouer un rôle dans la Prophétie des Lunes.
Impossible de s'avancer avec un plus long résumé des Écueils du temps sans dévoiler des morceaux de l'intrigue, et je m'en voudrais de vous priver de ce plaisir chers lecteurs.
On peut toutefois souligner que la thématique sous-jacente aux Écueils du temps - et qui sous-tend l'intrigue sur l'extermination de l'humanité - est celle de la sauvegarde de la Terre elle-même; problèmes environnementaux, de surpopulation, écarts entre riches et pauvres, économie de la guerre, hyper-capitalisme... L'éventail exploré par le roman est vaste et l'auteur a bien fait ses devoirs de documentation pour évoquer les divers éléments en cause.
Mais la Suite du Temps est d'abord une oeuvre de science-fiction qui mélange space opera, pouvoirs psy, espionnage, amour et... chronorégression, un mélange parfaitement réussi pour ce lecteur-ci (amateur de mélange, il faut le dire, quand ils sont si bien dosés, puisque la chose est difficile à réaliser), et qui, comme tout bon roman de SF, comporte un nombre importants de bonnes idées. On a souvent l'impression que pour écrire un bon roman, l'auteur a besoin d'une bonne idée conductrice, mais souvent, les meilleurs romans du genre comportent en fait un nombre importants d'excellentes petites idées, et c'est heureusement le cas des Écueils du temps.
L'intégration de plusieurs mythes classiques de la SF, comme les Petits Gris et les "petits hommes verts" place d'emblée l'oeuvre dans cet imaginaire collectif classique et permet au lecteur de se repérer, de faire des liens avec son propre imaginaire et de développer le temps de sa lecture une connivence avec l'auteur.
Comme l'intrigue des Écueils s'échelonne sur des décennies, on a aussi le plaisir de voir ces idées évoluer avec le temps. (Les divers assistants informatiques qui accompagnent les métapses dans leurs transes en sont un bon exemple). Comme lecteur, c'est donc un plaisir renouvelé à chacun des épisodes de la suite narrative, à chaque saut temporel en avant.
Enfin, côté intrigue, on assiste enfin à la conclusion de cette prophétie découverte avec la lecture des Méandres du temps et de cet univers revisité dans les nombreuses nouvelles que l'auteur a publié au fil des ans. En tant que lecteur, c'est toujours une expérience qui procure un sentiment paradoxal que celui de terminer une oeuvre aussi imposante. Le mélange du bonheur de lire la finale tant attendue et d'une sorte de tristesse à l'idée d'avoir terminé la lecture.
Cette lecture des Archipels du temps et des Écueils du temps est donc une expérience complète et entièrement satisfaisante. Mais attention, nous ne parlons pas ici de littérature fast-food, mais bien d'une oeuvre qui se déguste. L'ensemble demande un minimum d'investissement de la part du lecteur, en partie par le choix de la narration contemplative et aussi par la richesse des idées et du vocabulaire, en plus du rythme privilégié par l'auteur. En effet, dans Les Écueils du temps comme dans les Archipels, les deux premiers tiers du roman se déroulent à un rythme lent mais soutenu, alors que le rythme s'accélère dans le troisième tiers pour atteindre une apogée finale. Bref, il ne s'agit pas de romans pour lecteurs paresseux, mais s'investir dans cette oeuvre offre une expérience de lecture parmi les meilleures que j'ai pu vivre dans ces dernières années.
Mais outre l'intrigue générale et sa construction inventive, l'aspect le plus réussi des Écueils du temps - et des Archipels du temps - ce sont les splendides scènes spatiales, qui fournissent certainement le plus merveilleux voyage dans notre système solaire que j'ai pu faire en tant que lecteur. Ces scènes sont fascinantes et saisissantes de réalisme, j'aurais envie de dire qu'elles sont cinématographiques, si cet adjectif n'avait pas été galvaudé par divers critiques littéraires. Et c'est là où les choix de narration contemplative et la richesse du vocabulaire déployé par l'auteur payent pour le lecteur qui fait l'effort de s'y investir. Ces scènes superbes ne pourraient pas fonctionner ni avoir le même impact sur le lecteur si elles étaient rédigées autrement.
À quelqu'un me demandant comment je trouvais ma lecture des Écueils, alors que je lisais le roman en préparation pour mon entretien avec l'auteur, j'ai répondu que c'était la meilleure oeuvre de SF que j'avais lue depuis... Les Archipels du temps.
Je dois vous avouer que je ne lis plus beaucoup de science-fiction, depuis quelques années, mais j'en ai beaucoup, beaucoup lu, dans un passé tout de même récent. Cet aveu pourrait enlever un peu de poids à mon affirmation, mais au contraire, pour le lecteur très sélectif que je suis devenu en SF, mon appréciation des Écueils du temps parle d'elle-même.
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Les Écueils du temps, Alire, 2008, 562 p.

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