mercredi 31 mars 2010

Quelques heures à Houston, Texas

Quelques heures à Houston, Texas

par Hugues Morin

August 3rd, 2004.
George Bush Intercontinental Airport.
Welcome to the United States of America.

Je viens de descendre de l’avion de la Continental Airline qui a decollée de Quito a 7h ce matin. Nous avons une heure trente de retard due à une escale à Guayaquil, imprevue au programme de vol. L’avion était trop lourd pour décoller de cette altitude et a du sacrifier du carburant et refaire le plein sur la côte, au niveau de la mer, pour pouvoir se rendre à Houston. Je suis en transit, attendant un autre vol, vers Vancouver, en début de soirée.
Je dois d’abord passer les douanes américaines et la file est longue, car plusieurs vols transitent par Houston. Des dizaines, des centaines et des milliers de voyageurs passent quelques minutes ou quelques heures ici.
La file progresse lentement. Je sens une pression sur mon sac à dos et fait un pas de coté. L’homme derrière moi s’excuse d’un sourire insécure, je lui souris en retour.
C’est Fausto Rodriguez. Il est originaire de Quito, porte assez bien ses 62 ans et a le regard nerveux de celui qui ne voyage pas souvent. L’omnipresence de l’anglais le déroute aussi visiblement; il ne parle qu’espagnol.
Pour moi aussi la langue demandera une adaptation apres trois mois en Equateur. Fausto prendra plus tard un vol vers Calgary, Alberta pour ensuite se rendre à Holden, Colombie Britannique où habite sa fille. Nous avançons encore un peu, on vérifie que j’ai correctement rempli les papiers d’immigration et de douanes et on m’indique le guichet 16. Fausto s’est trompé de file, celle-ci est réservée aux detenteurs d’un passeport canadien. Une agente lui indique, en espagnol, la bonne file. Il aura quelques problèmes à passer la douane mais aura oublié son angoisse deux jours plus tard, alors que pour la premiere fois, il prendra dans ses bras ses trois petits enfants.
Après mon passage aux douanes, je dois récupérer mon bagage, que je devrai ensuite ré-enregistrer – une particularité de l’aéroport de Houston, on dirait. Le tourniquet est déjà rempli de bagages lorsque j’y arrive et je cherche un chariot du regard. J’en repère un, m’en empare et une jeune fille fait de même. Nos regards se croisent, je souris et lui laisse le chariot en en apercevant un autre juste derriere elle.
Elle s’appelle Jessica Chiang et a treize ans. Elle ramasse son sac à dos. Elle revient de deux semaines de voyage au Pérou par un vol Lima-Quito-Houston, en compagnie de dix autres élèves de son école. Ce qui l’inquiète le plus, c’est la réaction de ses parents lorsqu’ils verront le piercing qu’elle s’est fait faire à une narine pendant son sejour au Pérou. Elle craint surtout la réaction de son père, qu’elle voit toujous comme un vieux chinois rétro, alors qu’elle estime pouvoir amadouer sa mère, une fois passé l’effet de surprise initial. Alors qu’elle se dirige vers le comptoir d’enregistrement de son bagage pour sa correspondance vers San-Francisco, Jessica ne se doute pas qu’elle se trompe. Sa mère lui piquera une veritable crise alors que son vieux chinois de père admirera silencieusement l’audace de la fillette.
Je pousse mon chariot vers le comptoir également, pour enregistrer mon bagage pour Vancouver. Un lecteur optique fait le travail de répartition à partir des étiquettes à code barre sur les bagages. Je dépose mon sac de cabine et mes effets personnels dans un plat de plastique qu’un agent passe au détecteur alors que je traverse un autre type de détecteur moi-même. L’agent me souhaite une bonne journée, je ne semble donc rien trimballer de suspect.
L’agent Brian Clark, 42 ans, est dans le metier depuis plus de 10 ans. Aujourd’hui, Brian n’est pas dans son assiette. Il est nerveux et le restera pendant encore quelques heures. Sa nervosité tombera finalement avec les nouvelles de 18h ce soir-là, qu’il écoutera attentivement du salon de son bachelor du downtown Houston. Il retrouvera sa tranquilité d’esprit alors qu’aux nouvelles, on ne parlera pas du vol Houston-Détroit de 13h15. Car Brian a eu un doute lors du passage d’un sac de cabine au détecteur. Trop léger pour arrêter le sac et demander qu’on l’ouvre, sur le coup, mais un doute qui a grandi après coup, une fois qu’il était trop tard. Il y a des journées comme ca, lors desquelles les doutes étaient plus forts, depuis deux-trois ans.
Une fois rendu dans le terminal, je me dis qu’un petit lunch me ferait oublier cette drôle de fatigue due au vol et me redonnerait de l’énergie. Le terminal est rempli de blancs et de filles aux cheveux blonds. Je devrai m’habituer à ça aussi. Des petites voitures électriques traversent les couloirs avec leur conducteur lançant des « Excuse the cart please » à tous les 5 mètres.
Je repère un Starbucks avec plaisir. Je n’ai pas dégusté de latte digne de ce nom depuis trois mois. Je jette un œil intéressé aux pâtisseries, espérant y trouver un pumpkin scone, en vain. Je me contenterai d’un espresso brownie avec mon grande latte. La jeune partner qui me sert porte un badge au nom de Manawi. Manawi est une petite mais jolie jeune femme avec un sourire radieux. Nul ne pourrait se douter que malgré ce sourire si naturel, elle vit une journée triste et remplie de questionnements. Son copain l’a quittée deux jours plus tôt – elle le sentait venir mais n’osait se l’avouer. Elle se remet donc en question et envisage de démenager à Fort Worth, plus au nord, où des amis l’ont invité à les rejoindre.
Je déguste mon latte et mon brownie. Manawi sert quelques clients, toujours en souriant. Elle ne déménagera pas au nord finalement, car trois jours après mon passage à Houston, elle servira un client de retour d’un sejour de 6 mois au Costa Rica. Il tombera amoureux de ce sourire, et s’avèrera être l’amour de sa vie, rien de moins. Manawi ne perdra jamais ce beau sourire naturel.
Ayant terminé mon snack, je ramasse mes affaires et me dirige vers la poubelle pour y déposer ma tasse vide. Une jeune femme prend place à la table que j’ai libérée avec un thé et une salade de fruits. Elle porte l’uniforme de la Continental Airline; c’est une agente de bord et elle se nomme Melissa. Elle vient de terminer son service sur un vol Mexico-Houston et elle a quelques heures de congé avant un nouveau quart sur le vol Houston-San Francisco que prendra Jessica Chiang et ses copains d’ecole.
Contrairement à Jessica, par contre, Melissa ne prendra jamais ce vol vers la côte ouest. Car une heure après son thé du Starbucks de l’aéroport, elle apprendra la mort de son père et prendra un vol vers Boston et quelques jours de congé avec sa famille.
En quittant le Starbucks, je repère un kiosque de revues et livres. J’ai terminé mon livre dans l’avion en provenance de Quito et me dis qu’un peu de lecture pour mon autre vol serait parfait. Après dix minutes de flânage dans les rayons, j’aperçois le dernier numéro de la revue de cinéma Premiere. Kirsten Dunst en fait la couverture, ce qui me rappelle une discussion virtuelle avec quelques copains à propos de son visage, sa beauté, des goûts et des couleurs… Je regarde le sommaire du magazine alors qu’un homme qui me dépasse d’une bonne tête et qui fait le double de mon poids prend un autre exemplaire du même magazine. Je me dirige ensuite vers la caisse avec cette revue qui fera une lecture parfaitement relaxante. Je paye mon achat, l’autre gars me suivant à la caisse avec son exemplaire.
Il s’appelle Nick Charles. Il a 26 ans et habite Seattle. En ce 3 août, il vit la journée la plus déchirante de sa vie – ou du moins, c’est ainsi qu’il le ressent. Nick vit avec sa copine Evelyn Perez depuis deux ans et en est toujours follement amoureux. Elle est d’origine brésilienne et Nick a toujours voulu aller visiter le pays d’origine de son amie. Profitant d’un séjour de 6 mois d’Evelyn à New York qui les aurait séparé pour un temps de toute maniere, Nick a décidé de réaliser son projet et transite donc par Houston et Guatemala City en route vers Brasilia. Ils ne sont pas encore séparés, mais il s’ennuie déjà d’elle, ressentant la douleur et la solitude prospectivement.
Je me dirige vers les sièges du couloir du terminal C d’où partira mon prochain vol. Dans les hauts-parleurs de l’aéroport, on demande à tous les voyageurs de surveiller constamment leurs effets personnels et de respecter les consignes de sécurité. On mentionne également que toute blague relative à la sécurité peut mener à une arrestation.
En face des sieges, il y a un kiosque de cirage de chaussures affichant un tarif de 5$ US. Je note que c’est environ 10 fois le tarif des petits cireurs de Quito et Riobamba.
À ce moment, Quito me semble si loin, mais pourtant si proche… J’y étais encore le matin même, avec mon amie Suzie. Je consulte ma montre. Suzie est arrivée à Miami d’où elle doit prendre une correspondance vers Montréal.
À Miami, elle aura la surprise de découvrir un Starbucks. Elle succombera également à la tentation d’un vanille latte qu’elle accompagnera d’un pumpkin scone en pensant m’en parler plus tard. Ce faisant, elle consultera sa montre et se dira que je suis en transit à Houston à ce moment-là. Suzie ne le sait pas encore, mais American Airline égarera ses bagages lors du vol vers Montréal, les mettant sur le mauvais avion.
Je me lève de mon siège, remarque une poubelle dans un coin et y jette ma boite de tic-tac vide. Un agent de sécurité se tient sur ce coin et me salue d’un sourire. Je lui rends son sourire et retourne m’asseoir.
L’agent George Forbes Jonhson habite Houston depuis toujours et est à trois jours de la retraite. Une retraite qu’il a commencé à espérer environ deux ans avant ce jour. Étrangement, toutefois, il ne semble plus si enthousiaste alors que sa dernière journée approche réellement. Il a un peu l’impression que personne ne remarquera son absence, ce qui lui donne un sentiment d’inutilité injustifiée mais neanmoins présent. Heureusement pour George, lors de son retour du travail après cette dernière journée, pendant la petite fête de famille organisée pour l’occasion, il assistera aux tous premiers pas de son petit-fils John, son huitieme petit enfant. Il oubliera tout sentiment d’inutilité alors.
Assis dans le couloir du terminal C, je résiste à la tentation de lire ma revue, j’ai encore deux heures d’attente avant mon vol vers le Canada. Un couple s’installe à ma droite et dépose une toute petite cage sur le banc à côté de moi. L’homme qui est à ma gauche regarde la cage en souriant. Il est grand et plutôt maigre et ne lâche pas son cellulaire d’une seconde. Il s’appelle Patrick Jean-Baptiste et est originaire d’Ottawa d’un père de Port-au-Prince et d’une mère de Kingston. Il revient de voyage et attend son vol de retour vers Lafayette, en Louisianne, ou il habite depuis dix ans. Il agite son cellulaire et je réalise qu’il a pris une photo numérique du chaton dans la cage à ma droite. C’est une exception à son habitude. Car le passe-tems préféré de Patrick Jean-Baptiste est de prendre des jolies filles en photo avec son cellulaire. Une facon originale et agréable de tuer quelques heures entre deux vols.
Le chaton, qui est une chatte, s’appelle Hermione. C’est une petite calico de trois mois, qui est terrorisée par ce nouvel environnement bruyant et inconnu. Elle subira bientôt trois heures d’un vol Houston-Chicago mais oubliera cette mauvaise expérience en moins de trois jours par la suite, ce qui est assez pratique, d’un certain point de vue. D’un autre par contre, elle sera tout aussi terrorisée par le vol de retour trois semaines plus tard.
Les hauts parleurs annoncent un changement de porte d’embarquement. J’y porte à peine attention, c’est au moins la dizième annonce du genre depuis mon arrivée. La mention de Vancouver attire toutefois mon attention et j’écoute plus attentivement lorsque la voix répete le message. Il s’agit bien de mon vol, qui partira de la porte E-20 au lieu de la C-41 qui est indiquée sur ma carte d’embarquement.
Je me leve donc et suit les indications du terminal E. Trois bonnes minutes de marche et 5 tapis roulants plus tard, je repère enfin la porte E-20 qui affiche bien le vol 1904 en direction de Vancouver.
Je pense à mon amie Karina qui est censée m’accueillir en fin de soirée. Elle est à cet instant au Starbucks de la 10e avenue ouest, près du campus de UBC. Elle et sa collègue sont sur le point de fermer. Karina sert un latte au dernier client et débute les tâches de nettoyage par le présentoir à pâtisserie. Elle met de côté les invendus pour l’organisme de charité, notant au passage un pumpkin scone, fait rare vu la popularité de cet item. En quittant le café vingt minutes plus tard, Karina consulte son agenda dans lequel elle a noté mon numero de vol et l’heure de mon arrivée prévue.
Je m’installe devant un écran diffusant CNN où l’on parle de la convention démocrate ayant couronné John Kerry comme candidat à la présidence des Etats-Unis. Le terminal E semble dédié aux vols vers l’ouest; Seattle, Vancouver, Los-Angeles, San-Francisco, Orange County… Une coïncidence, peut-être.
Une famille avec un incroyable lot de bagages s’installe près de moi. Parents dans la cinquantaine avec deux filles dans la vingtaine, habillées de manière incroyablement sexy, mais sans être d’une beauté particulière. Deux morceaux de hamacs colorés dépassent de leur valises. En les regardant gérer leurs bagages, je ne peux m’empecher de remarquer la jeune femme qui s’installe près de la porte E-22. Elle est d’une beauté saisissante et, malgré ses cheveux blonds, je me souviens très bien de la dernière fois que je l’ai rencontrée – à Vancouver justement. Elle avait les cheveux noirs alors.
Elle s’appelle Scarlett et elle est actrice. Elle est à Houston depuis trois semaines, en entrainement de pré-tournage pour le film The Island. Elle prend ce soir un vol vers Los Angeles où elle doit participer le lendemain à une petite cérémonie en l’honneur de Bill Murray.
On appelle les passagers de première classe de nos vols presque simultanement. Je devrai patienter encore un temps, je vole en classe régulière, bien entendu. Scarlett passe la porte d’embarquement E-22 et je me demande si elle aussi a acheté le Premiere magazine. Ça aurait fait un bon point de départ de conversation si nous avions pris le même avion.
Je reporte mon attention sur CNN. Un homme, une femme et une fillette passent entre les sièges devant moi. La fillette est boudeuse et tire sans ménagement une version enfant d’une valise à roulettes à l’effigie de Barbie. La valise heurte mon genou droit, sans grand mal. La mère s’excuse et jette un regard réprobateur à la fillette qui gromelle quelque chose d’inintelligible à mon endroit puis s’éloigne.
Elle n’a que dix ans et s’appelle Anna Louisa Aguirre. Elle va embarquer en première classe vers Vancouver pour son premier vol international. Si elle boude malgré tout, c’est que sa mère a refusé de lui acheter le livre sur Shrek 2 qu’elle a vu au kiosque à journaux où Nick et moi avons acheté notre magazine.
On appelle enfin les passagers de classe régulière pour Vancouver. Je me lève et m’installe dans la file d’attente. Une jeune femme s’approche du comptoir et s’informe à la préposée d’un changement de porte d’embarquement. Je comprends qu’elle devait partir de E-20 mais vers New York (Au diable ma théorie sur le terminal E et les vols vers l’ouest). La préposée lui indique que son vol a été retardé de vingt minutes et partira de la porte C-45. La jeune femme s’éloigne du comptoir, regarde les affiches, hésite… nos regards se croisent. Elle a de très longs cheveux noirs, attachés négligemment par une pince. Et elle a de très jolis yeux, mais ils sont rougis par des pleurs récents. Je lui souris et lui montre l’affiche indicant la direction du terminal C. Elle me remercie et s’éloigne alors que j’avance un peu dans la file.
La jeune femme aux jolis yeux s’appelle Evelyn Perez. Elle a vingt-trois ans, est native du Brésil mais de parents Équatoriens. Elle s’envole pour un séjour de 6 mois a New York. Et si elle a récemment pleuré, c’est qu’elle a dû se séparer de son ami Nick, qu’elle aime à la folie. Elle s’ennuie déjà alors qu’il est parti à peine une heure plus tôt.
Evelyn pleurerait beaucoup plus ce soir si elle savait qu’elle ne reverrait jamas Nick. Et elle pleurera beaucoup aussi lorsqu’elle le réalisera. Elle fera encore rougir ses jolis yeux qui reflèteront souvent cette profonde tristesse.
C’est à mon tour de présenter mon passeport et ma carte d’embarquement. Les secteurs des départs dans les aéroports sont la scène de beaucoup de pleurs et de déchirements. Je n’échappe pas à cette constatation, ayant souvent pleuré près de portes d’embarquement. Je réalise, au moment de parcourir le couloir me menant au Boeing 757, que les secteurs des arrivées sont aussi souvent le théâtre de grandes joies. J’espere ne pas échapper à cette règle non plus.
Je monte dans l’appareil et m’installe dans le siège 16F près de la fenêtre. Dehors, de nombreuses lumières clignotent, créant des reflets jaunes, bleus, rouges, verts… Je vois un avion de American Airline atterrir sur ma gauche. Je ne le sais pas, mais il contient un grand sac à dos Arcterix qui aurait dû faire Miami-Montréal au lieu de se rendre à Houston ce jour-là. Suzie mettra trois jours avant de revoir ce sac à dos, qu’elle récupèrera heureusement.
Je soupire, tentant de laisser Quito et l’Équateur derrier moi, en même temps que Houston, où je n’ai passé que quelques heures. Je pense à Vancouver.
Après un an et demi, il est temps que je rentre chez moi.
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Aéroport de Houston, 3 aout 2004.
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© Hugues Morin 2004

Les fantômes et moi et Suzinette et les petits Africains de la Charles Voie

Voici le résultat d'une heure d'écriture sur place au Congrès Boréal 2007, jumelé à beaucoup de fatigue et une volonté de m'amuser avec tout ce qui m'avait entouré dans les semaines précédentes: Le stage de mon amie Suzie à Charlevoix, la série Friends, le thème de Boréal 2007 (l'uchronie), le musical RENT, quelques films récents, un (ou deux) clin d'oeil à quelques autres nouvelles - dont celle qui m'avait valu le Prix Boréal de ce concours l'année précédente -, et l'organisatrice dudit concours.
Ce «petit conte uchronique» a été écrit le 28 avril 2007 (jour de mes 41 ans) et très légèrement révisé le 11 mai 2007 avant d'être intégré à mes archives, accompagné de photos.
Bonne lecture.
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Les fantômes et moi et Suzinette et les petits Africains de la Charles Voie

Par Hugues Morin

Quand Suzinette m’a annoncé qu’elle partait pour participer à un projet d’aide humanitaire, je n’ai pas vraiment été surpris. Elle partait tout le temps sur des projets humanitaires, Suzinette. Nous étions à New York depuis à peu près quatre mois, et elle m’a annoncé son départ comme ça, sans flafla, parce qu’elle me connaît bien, Suzinette. Et elle a une âme généreuse, alors quand elle ne s’en va pas aider à la restauration d’une chapelle ancestrale dans le sud de la France, elle part dégager des ruines mayas au Honduras ou donner un coup de main dans la jungle amazonienne en Bolivie. Tous ces pays forment une longue liste sur sa feuille de route et un beau kaléidoscope sur son passeport.
Moi, c’est différent. Je ne comprends pas toujours son besoin de bouger et j’ai des responsabilités alors je ne peux pas partir tout le temps comme ça, sinon, qui s’occuperait des fantômes?
D’ailleurs, c’était pour cette raison que nous étions à New York tous les deux. J’ai toujours besoin de main d’œuvre au début d’un contrat et celui du building Bedford & Grove dans Greenwich Village était un beau contrat. Comme Suzinette était entre deux projets, elle m’a accompagné.
Le Bedford & Grove, c’est six étages de 5 logements chacun, alors ce n’est définitivement pas un contrat pour amateur. Mais Suzinette se fatigue vite de rester au même endroit et je savais qu’elle partirait après quelques mois. Son annonce n’a donc pas été une surprise.
Elle m’a invité à la suivre, bien sûr, mais comme je l’ai dit, j’ai des responsabilités, alors j'ai décidé de rester à New York.
Évidemment, même si je n’ai pas la bougeotte comme elle, je m’intéresse beaucoup à ses projets et je lui ai donc posé des questions à Suzinette. Et quand elle m’a dit qu’elle allait s’occuper de petits africains dans la Charles Voie, là, oui, j’ai été un peu surpris. Il faut comprendre que je n’ai pas une connaissance encyclopédique de la géographie politique et que j’ai bien dû avouer ma totale ignorance; je n'avais aucune idée d'où, en Afrique, se trouvait la Charles Voie.
Suzinette, elle m’a expliqué qu’elle ne partait pas pour l’Afrique, mais bien pour une ancienne colonie. C’était une longue histoire, mais j’ai cru comprendre qu’à l’époque du trafic d’esclaves africains, certains marchands ont perdu le contrôle de leur vaisseau. La plupart du temps, les mutins ayant pris le contrôle revenaient sur leur continent, mais il s’est produit au moins un cas où le navire était trop éloigné sur l’Océan. Bref, en un mot comme en cent, ces esclaves libres ont accosté dans la Baie du Mal et fondé une sorte de colonie involontaire.
Après avoir été laissés à eux-mêmes pendant des décennies (ils ont été ignorés par les colons français), on les a enclavés sous le régime anglais, puis combattus, et fait subir bien d’autres mésaventures encore. Mais ils ont survécus et fini par former un petit pays indépendant, fier mais très pauvre, qu’ils ont appelé la Charles Voie, du nom du bateau qui avait amené leurs ancêtres dans la Baie du Mal.
Suzinette, elle en connaît un bout sur la géographie et l’histoire, et elle m’a expliqué que la principale ressource de la Charles Voie, c’était les paysages. Les petits africains de la Baie du Mal avaient donc pour projet de développer le tourisme étranger dans leur pays. Par contre, comme ils sont encore très pauvres, ils font appel à des coopérants internationaux pour les aider à développer cette nouvelle industrie. C’est pour ça que Suzinette, elle partait pour la Charles Voie.
Et elle est justement partie deux semaines après m’avoir prévenu, en direction du nord-est, me laissant seul pour m’occuper des fantômes de Bedford & Grove. Elle laissait aussi tout un tas de fleurs et plantes vertes dans notre appartement, et moi qui n’avais pas le pouce vert, j’ai dû recruter une voisine de pallier pour me donner un coup de main. Les fantômes, c'est quelque chose, mais les plantes demandent un tout autre talent et j'ai toujours eu un peu peur des fleurs et des plantes.
Remarquez, je n’étais pas à plaindre. Passé les dix premiers jours – toujours difficiles – on fini par prendre le rythme, maîtriser la situation et gérer au jour le jour les apparitions au lieu de ne régler que les situations désespérée. Je n’avais donc que rarement à m’occuper d’urgences.
Il faut dire qu’avant de me rendre à New York, j’avais capté l’essence de mon grand-père avec ma webcam et que c’était un outil extrêmement efficace pour contrôler les fantômes. En plus, mon grand-père avait rapidement maîtrisé l’art de jouer aux échecs en ne suivant aucune règle et il pouvait donc occuper plusieurs fantômes pendant des heures. Vous êtes peut-être sceptiques mais c’est que vous n’avez pas connu mon grand-père! De plus, lorsque je l’ai capté, il avait 96 ans et avait vu son lot de fantômes, croyez-moi. Il m'avait déjà dit - il avait alors 92 ans - qu'il avait même vu le sien!
Aussi, Collins – c’est le nom du propriétaire de l’immeuble de Bedford & Grove – il m’avait promis un loyer gratuit pour tout le temps où je m’occuperais de ses fantômes. À New York, où se loger coûte si cher, c’était un avantage que je n’étais pas prêt à abandonner comme ça.
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Après deux ou trois semaines sans Suzinette, c’était plus pareil. Même quand je sortais les DVD de mon grand-père et mon jeu d’échec virtuel pour occuper les fantômes, je le faisais avec de moins en moins de conviction. Alors oui, je m’ennuyais de ma Suzinette, mais de là à abandonner un logement gratuit à New York pour aller vivre dans une ancienne colonie africaine, c’était un pas que je n’étais pas prêt à franchir.
J'avais quand même des nouvelles de Suzinette, car Suzinette, elle aimait ça me parler de son expérience en pays africain. Elle travaillait à mettre en valeur le monument historique de l’endroit; le Château du Riche Lieu. À l'époque des affrontements avec le régime anglais, l'endroit avait servi de château fort, avec ses canons et ses fortifications pour protéger l'accès à la Charles Voie par le Fleuve.
C’est Collins qui a trouvé la solution pour moi un beau soir d’avril. Pas qu’il croyait que j’avais un dilemme, non, mais parce que quand les gens n’ont plus connaissance d’un problème, ils ont l’impression qu’il n’existe plus. Et Collins, n’ayant plus de problème de fantômes, avait commencé à croire qu’ils avaient quitté l’immeuble. Il me citait en exemple la belle Rachel – une jolie jeune femme de 28 ans qui ressemblait à Jennifer Aniston et qui habitait l’appartement 5C – qui ne s’était pas plaint depuis des semaines, elle qui avait l’habitude de le faire quotidiennement. Une autre locataire, une blondinette de 33 ans qui avait l'air d'en avoir 19 et qui écrivait des romans de fantasy, avait cessé elle aussi ses plaintes hebdomadaires.
Il est un peu ignorant, Collins, alors c’est pas de sa faute, il faut l’excuser. Il ne savait pas que les fantômes, ça ne part pas comme ça. Il aurait pu le savoir, remarquez, le lire à quelque part, ou sur un site Internet – il y en a tellement – mais il est toujours occupé à devenir plus riche, le Collins, alors il doit lire très peu.
C’est pour ça – parce qu’il pensait ne plus avoir de fantômes dans son immeuble – qu’à la fin d’avril, il est venu m’annoncer qu’il allait devoir me charger un loyer comme tout le monde, si je voulais rester au Bedford & Grove. Normalement, j’aurais argumenté, je lui aurais montré l’effet que mon départ aurait sur son immeuble une fois les fantômes laissés à eux-mêmes, et je serais probablement arrivé à le convaincre de me garder.
Mais, bon, j’avoue, je me cherchais une raison de quitter Bedford & Grove sans avoir à décider consciemment d’abandonner tous ses avantages.
Comme il y a bien des endroits dans le monde où on peut s’occuper de fantômes en échange d’un lit et d’un peu de pain, j’ai prévenu Collins qu’il risquait d’avoir quelques problèmes à mon départ, mais que c’était son choix.
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J’en ai parlé avec Suzinette. J'ai oublié de vous dire qu’on se téléphonait à tous les quatre ou cinq jours. Ils avaient le téléphone dans la Baie du Mal, malgré ce que l’on entend toujours sur ces contrées éloignées du tiers-monde. Elle me racontait comment les gens se connaissaient tous dans le village, tellement il y avait peu de population et qu’ils étaient si éloignés du reste de la civilisation. J’avoue que ça faisait contraste avec Times Square! Et Suzinette, elle trouvait que ça n'avait pas d'allure de s'occuper des fantômes de Bedford & Grove et de payer le loyer en plus.
C’est donc pendant ces conversations téléphoniques portant sur la culture locale des Charles-Voisiens que j’ai commencé à penser que je pourrais peut-être me rendre sur place et aider la population locale moi aussi.
J’en ai parlé avec Sophie aussi. Sophie, c’est la voisine qui prend soin de mes plantes depuis le départ de Suzinette. Et Sophie, elle a compris mes raisons, puisqu’après tout, c’est une fille et que les filles, elles aiment toujours ça les histoires romantiques.
Un beau jour de mai, j’ai donc prévenu Collins que je quittais Greenwich Village, j’ai pris mes affaires et je suis monté dans un autobus vers le nord.
Suzinette, elle était bien contente de me voir enfin me déraciner de la ville pour aller aider une population défavorisée. Elle me disait que ça serait spirituellement plus profitable pour moi que ce que ça me coûterait physiquement, ou quelque chose du genre. Elle ne savait pas si bien dire, la Suzinette, mais parfois, j’ai des doutes et je pense qu’elle savait très bien dire, justement.
Après une escale à Mont Royal, puis une autre à Québec, j’ai donc pris la route du nord-est jusqu’à l'Anse à St-Paul, la frontière de la Charles Voie. Après les procédures habituelles des douanes, un court trajet d’autobus me mena à la Baie du Mal, où j’ai rejoint Suzinette et les petits africains du village.
Une fois sur place, je n’ai pas été déçu. Au fil des conversations sur la désorganisation, la culture de l’à peu près, les luttes de pouvoir ridicules de quelques villageois et tous les autres petits symptômes problématiques au développement du tourisme dans cette contrée, j’avais compris que leur problème principal, ils ne le voyaient pas. J'avais compris qu'il n'y avait pas une si grande différence entre eux et Collins...
Je me suis donc installé là avec l’idée d’y passer de très longs mois. Cette ancienne colonie d’Afrique qu’est la Charles Voie a un passé tellement chargé de conflits avec les populations voisines, de famines et de guerillas... Et ses racines sont issues de l’esclavage-même. Il est inimaginable que ce pays ne soit pas infesté de fantômes. Le commun des mortel d’un petit pays du tiers-monde ne voit pas nécessairement ce qui saute aux yeux d'un expert possédant mon expérience.
Suzinette, elle, est très heureuse de me voir m’installer à Baie du Mal pour m'occuper des fantômes. Et c’est mon grand-père qui va s’amuser!
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Hugues Morin
Boréal 2007 - Montréal
28 avril 2007 – 8h50-9h50 PM
Révisé le 11 mai 2007

Photos par Hugues Morin (2007)

Texte et photos © Hugues Morin 2007
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La jolie cliente

La jolie cliente

Par Hugues Morin
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- How are you today?
- Well, it’s Friday…
- Yeah…
J’ai déposé son café sur le comptoir – moitié corsé, moitié velouté – elle a payé, puis m’a sourit.
- Thank you!
- Have a good day!
Puis, prenant son café, elle s’est arrêtée sur le petit comptoir pour y ajouter sucre et lait, et a quitté l’endroit sans un regard en arrière. Si elle avait tourné la tête, elle m’aurait vu, derrière ma caisse, en train de la regarder partir.
Puis, elle m’aurait vu pousser un soupir, et retourner à mes machines à café ou servir un autre client, mon cœur battant un peu plus vite que trois minutes auparavant.
Ça fait cinq ans, et jamais je n’ai oublié le sourire qu’elle me faisait, ni la manière dont elle me disait Thank you, en appuyant un peu sur les mots, comme pour exprimer qu’elle me remerciait vraiment et ne le disait pas simplement comme un réflexe.
Cinq ans, et à l’époque, j’aimais encore que les clients m’abordent en anglais. Et celle-là, qui venait à chaque matin à sept heures trente cinq précise chercher son moitié corsé, moitié velouté, en plus de me parler dans ma langue maternelle, elle était fort jolie.
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Je suis né en Colombie Britannique, sur le vignoble familial près de la petite ville de Summerland, dans la vallée de l’Okanagan. Certains de mes amis ont appris un assez bon français lors de leurs études primaires et secondaires. Pas moi. Je n’étais pas très intéressé par la langue, et n’étais pas très intéressé par l’école tout court. J’ai donc grandi dans un milieu unilingue anglophone, persuadé que je ne manquais rien, que ma langue était la langue mondiale, universelle. Jusqu’au jour où je suis tombé amoureux d’une copine de collège, qui elle, parlait bien français. Elle avait étudié en immersion pendant son école primaire, et avait même fait deux séjours de quelques mois en environnement français – un quelque part en province en France, et l’autre à Trois-Rivières, au Québec. Quand il lui arrivait de rencontrer des francophones et qu’elle leur parlait, je lui trouvais un petit côté exotique qui me plaisait beaucoup.
Notre relation a été passionnée et intense. Nous étions sérieux dans nos sentiments, mais trop jeunes pour établir de réels plans d’avenir sans partager exactement les mêmes rêves. Pour ma part, je ne savais pas du tout ce que je ferais dans la vie. Le vignoble familial m’ouvrait ses portes, mais mon père voulait d’abord que j’obtienne un diplôme de la faculté d’administration de UBC. Je n’étais pas convaincu de mon intérêt pour l’entreprise ni de mon intérêt pour l’administration en général. Caroline – c’était le nom de ma copine, je me rends compte que je ne l’ai pas présentée – rêvait de voyage et d’études en archéologie. Elle était fascinée par les sociétés disparues, particulièrement les Azteques, les Incas et les Mayas; elle disait qu’on savait déjà beaucoup de choses sur les anciennes sociétés des vieux continents. Moi, je n’y connaissais rien et à mes yeux incultes, ces images de temples Mayas qu’elle me montrait dans des élans de passion n’étaient que des empilements de roches sans grand intérêt.
Caroline ne m’a jamais quitté officiellement. Elle a simplement poursuivi son rêve, sa vie, sa passion, en partant étudier à Paris. L’annonce de son départ m’a profondément bouleversé., Même si nous ne nous étions pas dit adieu, nous savions tous les deux que la vie nous emmenait dans des directions différentes. Après son départ, je suis tombé dans une période de sérieuse remise en question. Trois mois plus tard, j’avais abandonné mes études au collège et je partais pour Montréal.
J’avais convaincu mes parents que c’était la meilleure chose à faire. Je ressentais soudainement le besoin de m’ouvrir sur le monde, d’apprendre une autre langue, d’apprendre à vivre ma vie. Après mon séjour au Québec, j’étais persuadé que je verrais plus clair et que je pourrais alors savoir ce que je ferais dans la vie. On a tous besoin, à un moment où un autre, de sortir du cocon familial. Dans mon cas, le plus loin serait le mieux, j’étais trop paresseux pour accomplir le changement dont j’avais besoin si je restais près de ma famille.
Le choix de Montréal s’est imposé de lui-même. Je ne voulais pas avoir l’air de suivre Caroline, donc j’avais exclu la France de mes possibilités. Je ne pense pas que j’aurais eu les moyens financiers d’emménager à Paris de toute manière. Et pour un jeune qui ne parlait pas encore français, Montréal représentait un beau filet de sécurité, la ville étant pratiquement bilingue. Je voulais y étudier le français intensivement, mais en même temps, c’était rassurant de savoir que je ne serais pas totalement perdu en cas de problèmes.
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Après ma dernière année secondaire, j’avais déniché un emploi à temps partiel au Starbucks, et j’avais continué à y travailler pendant mon année et demie de collège. J’avais donc mis un peu d’argent de côté puisqu’en habitant chez mes parents pendant mes études, je n’avais qu’à me soucier de mes dépenses personnelles. Après mes deux premières semaines à Montréal, j’ai commencé à me chercher un travail et il m’a donc semblé naturel d’aller faire application pour un poste de barista dans les Starbucks de la ville.
De ce point de vue, Montréal est très différente de la côte ouest. Summerland est une petite ville campagnarde de onze milles âmes, et le centre-ville compte tout de même trois Starbucks. J’ai peut-être joué de chance et décroché un emploi au Starbucks du passage de la Place Bonaventure.
Je suivais mes cours de français à raison de quatre heures à tous les matins de la semaine. Je travaillais donc au café strictement en après-midi. Cette succursale du centre-ville fermait ses portes à dix-huit heures puisqu’elle desservait principalement une clientèle de gens d’affaires. Après trois mois de ce régime, la qualité de mon français avait beaucoup progressé et j’étais surpris de toute la fierté que j’éprouvais suite à cet accomplissement. J’étais encore très loin d’être bilingue, mais au moins, je pouvais me débrouiller en ville, et l’arrivée d’un client francophone au café ne provoquait plus en moi ce regard de panique dont mes collègues avaient tant ri à mes débuts. Et puis il y avait l’amusement de la découverte des différences entre les langues, les cultures, à l’intérieur du même pays.
Lorsque septembre arriva, Agathe, la gérante du café, me demanda si je ne serais pas intéressé à travailler un peu plus d’heures par semaine. Agathe était originaire de Toulon, dans le sud de la France et l’ironie du sort ne m’avait pas échappé lors de mon embauche. Elle parlait un anglais qui n’était pas bien meilleur que mon français, ce qui avait un petit côté rassurant pour moi. Pour l’automne, elle me proposait de faire des ouvertures, plutôt que les fermetures auxquelles j’étais habitué. Plusieurs de nos collègues – des étudiants – réduisaient leurs disponibilités pour entamer une nouvelle année scolaire et nous devions donc revoir les horaires. Pour ma part, j’avais toujours des cours, mais seulement deux jours par semaine. Je commençais à trouver mon travail du matin répétitif et l’offre est donc tombée à point.
C’est un jeudi, à sept heures trente-cinq, que j’ai vu ma jolie cliente pour la première fois. Les jeudis matin étaient très achalandés. En fait, il s’agissait de notre période la plus frénétique de la semaine. Moi, j’aurais cru que le vendredi serait pire, mais non, les jeudis, semaine après semaine, s’avéraient incroyablement achalandés. J’occupais la position d’expéditeur, c’est-à-dire que j’assistais les caissiers à passer les commandes au bar à espresso et à servir le café infusé et les pâtisseries aux clients en tentant de minimiser les déplacements des caissiers. Pendant deux heures entières, mes activités se limitaient donc à verser le café, servir les pâtisseries et infuser du café frais à raison de deux litres à toutes les dix minutes à peu près, et ce autant pour le café corsé que pour le velouté du jour. J’aimais bien cette position, puisqu’elle réduisait mes besoins de communication avec la clientèle francophone. Même après quelques mois, il m’arrivait encore de tomber sur un québécois que je ne parvenais pas du tout à comprendre. Quand j’occupais cette position, j’avais peu à penser et je ne voyais les clients que du coin de l’œil. Je me limitais à mettre leur café sur le comptoir et dire «merci, bonne journée». Je prononçais encore «bon» journée, le satané «onne» toujours difficile à prononcer pour moi.
Je ne sais donc pas pourquoi j’ai remarqué cette cliente en particulier, mais j’ai croisé son regard en déposant son moitié corsé, moitié velouté sur le comptoir et elle m’a remercié en appuyant son Thank you en me regardant dans les yeux.
À ce moment-là, j’ai pensé «wow, that one is cute», puis j’ai continué mon travail en oubliant tout de l’événement.
Le lendemain, elle était de retour, et cette fois, j’étais caissier. L’expéditeur était occupé à moudre une livre de café pour un autre client et j’ai donc pris la commande, et préparé le café de cette jolie cliente et lui ai servi avec un sourire qu’elle m’a retourné. Elle s’est arrêtée au comptoir pour ajouter lait et sucre, puis a filé en direction de la Gare Centrale sans un regard en arrière. J’ai pensé «Nice smile. And she is cute». Parfois, vous voyez une jolie fille du coin de l’œil, mais une partie de son charme vient de l’inconnu, et du fait qu’elle disparaîtra de votre vie cinq secondes plus tard. Ce vendredi matin, j’avais pu regarder ma cliente un peu plus que la veille, et ma foi, mon jugement sur sa beauté n’avait pas changé, il s’était même confirmé sans aucun doute.
Elle avait le teint foncé; cette belle couleur caramélisée qu’ont les latino-américaines et plusieurs filles originaires du Moyen-Orient. Ses yeux étaient d’un noir profond mais son regard demeurait plein de chaleur. Son nez, bien équilibré, n’était ni évasé ni retroussé, et ses lèvres, pleines sans être trop pulpeuses, formaient un sourire sincère qui lui éclairait le visage tel un levé de soleil. Elle portait ses cheveux noirs légèrement bouclés, aux épaules, libres de toute attache.
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Ces événements remontent à cinq ans, mais je me souviens encore très clairement du visage et du sourire de cette joli cliente. Je me souviens aussi de sa voix. Une voix basse et chaleureuse, un peu rauque, qui rappelait la voix de l’actrice Scarlett Johannson. La comparaison m’étais rapidement venue à l’esprit puisque Scarlett était alors - et est encore aujourd’hui à bien y penser – mon actrice préférée, et qu’une partie de son intérêt en tant qu’actrice est sa voix très particulière.
Les semaines passèrent donc comme elles le font toujours, au même rythme, bien que souvent, on a l’impression que la vitesse du temps est plutôt relative. Je servais ma jolie cliente trois matins par semaine à sept heures trente-cinq. Quelque part en octobre, j’ai réalisé que j’avais hâte de travailler le mardi matin pour la revoir l’espace d’un instant, après trois jours sans avoir pu admirer son beau sourire. Cette constatation m’a forcé à un examen intérieur, mon premier depuis mon arrivée à Montréal.
Par la suite, je me suis mis à me poser des questions à son propos, à chercher à mieux la connaître, bien que nos échanges matinaux ne duraient qu’une minute. Je tentais d’élargir les propos de nos micro conversations mais la chose était difficile dans le contexte achalandé du café. Évidemment, je n’avais aucun moyen de savoir ce qu’elle pensait, mais mon ton penchait un peu vers le flirt, et elle n’avait pas l’air de s’en formaliser.
Vers la fin d’octobre, j’avais décidé d’en savoir plus sur ma jolie cliente. Elle arrivait au café à la même heure tous les matins, par le couloir qui fait immédiatement face au Starbucks. Elle empruntait donc le transport en commun. Mon problème, c’était que ce couloir donnait à la fois accès à la station de métro, au terminus d’autobus de la rive sud de Montréal et au train de banlieue. Elle portait un long manteau et des bottes et semblait toujours porter des vêtements de ville et des souliers. Pas de jeans ni d’espadrilles; j’en avais conclu qu’elle devait travailler dans un bureau.
Après avoir ajouté du lait et du sucre dans son café, elle quittait toujours le Starbucks en direction de l’escalier qui menait à la Gare Centrale. Je me disais qu’elle devait travailler quelque part entre la station Bonaventure et la Place Ville-Marie. Si elle avait travaillé plus loin – dans la Tour de la Place Montreal Trust, par exemple – elle aurait certainement emprunté le métro McGill plutôt que Bonaventure. Mais mon raisonnement ne tenait la route que si elle n’empruntait pas par le train de banlieue ou l’autobus, auquel cas elle aurait marché plutôt que de prendre le métro jusqu’à McGill, puisque cette station se trouvait sur une toute autre ligne.
De toute manière, ces déductions ne pouvaient me mener bien loin. Et l’édifice cruciforme de la Place Ville-Marie comptait 42 étages et abritait une redoutable quantité de bureaux.
J’ai bien tenté d’en savoir plus en questionnant mes collègues – surtout ceux qui travaillaient au Starbucks Bonaventure depuis longtemps, mais en vain. Ni Nicolas, ni Daniel, ni Michel, les trois autres gars qui travaillaient le matin, ne savaient qui elle était ni d’où elle venait, ni où elle travaillait.
Pire, aucun ne semblait ne l’avoir remarqué avant que mon intérêt envers elle ne devienne évident à leurs yeux. Pour moi, leur aveuglement était surprenant, mais un jour de début novembre, Michel me confia que nous avions tous une jolie cliente, une cliente favorite, et que chacun de nous ne remarquait pas réellement les autres clients. Je devais lui donner raison sur ce dernier point. J’avais plusieurs habitués que je pensais connaître un peu lorsque je travaillais en BC, et pourtant, après seulement quelques mois passés à Montréal, je n’arrivais même pas à évoquer le souvenir d’un seul d’entre eux. Par contre, l’argument de Michel était faible puisque j’avais tout de même remarqué la cliente préférée de chacun de mes collègues. Il faut dire que les femmes de Montréal me semblaient bien plus belles que celles de la BC. Je mettais alors ce jugement sur l’attrait de la nouveauté de certains traits et sur l’exotisme que la langue française évoquait pour moi.
Au début décembre, même les filles qui travaillaient avec moi me taquinaient sur ma jolie cliente. Elles pouvaient voir mon sourire quand je lui servais son moitié corsé, moitié velouté, et au moins deux d’entre elles me conseillaient de l’inviter à sortir. Je n’étais pas nécessairement timide envers les filles, mais je ne croyais pas qu’inviter une cliente était une si bonne idée. Je n’avais pas peur d’une réponse négative, puisque ça fait partie du jeu, mais je ne voulais pas la rendre mal à l’aise de venir chercher son café tous les matins après m’avoir refusé une invitation. Bien sûr, je voulais aussi m’éviter une situation embarrassante face à elle et mes collègues. Se faire dire non était une chose à assumer, que tous les collègues le sachent en était une autre.
Enfin, je n’étais pas certain, en mon for intérieur, d’être prêt pour une nouvelle relation. L’idée était tentante, et je ressentais une attirance véritable envers cette fille, mais j’étais assez honnête avec moi-même pour savoir que je n’étais pas amoureux. Ou plutôt pas encore amoureux. Je ne la connaissais pas assez pour savoir si je serais amoureux d’elle. Une partie de moi aurait bien voulu tenter le coup et être amoureux, mais en même temps, j’avais emménagé à Montréal pour me retrouver. Je désirais définir qui j’étais et qui je serais, j’avais une idée un peu romantique face à ce séjour, et je tentais d’éviter de plonger dans une situation qui compliquerait tout avant d’avoir atteint mon but. Et puis elle semblait avoir un véritable travail alors que je ne savais pas encore quoi faire dans la vie et considérais mon emploi au Starbucks comme un travail temporaire.
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Trois semaines avant Noël, Agathe m’a demandé de séparer mon temps au café entre les matins et les après-midi. J’avais terminé ma session de cours et mes disponibilités me permettaient de travailler un peu plus.
L’avantage de ce nouvel horaire était financier; mes quarts de l’après-midi étaient un peu plus longs que ceux du matin, et comme je travaillais plus d’heures par semaine, ma paye était un peu plus intéressante. Le désavantage était sentimental; je voyais un peu moins ma jolie cliente, que je ne servais désormais plus que deux matins par semaine.
Puis, une semaine avant Noël, une indigestion m’empêcha de travailler un vendredi matin, remettant au jeudi suivant le moment où je pourrais voir le sourire de ma jolie cliente au teint caramel. Penser qu’elle me manquerait avait un aspect inconfortable à mes yeux, mais en même temps, sentir mon cœur battre plus fort à l’idée du jeudi suivant n’était pas désagréable.
Je me souviens très bien de la discussion que j’ai eue avec mes parents pendant cette fin de semaine de décembre. Ma mère me téléphonait religieusement une fois par semaine, et depuis quelques temps déjà, me parlait de la possibilité que j’aille passer le temps des fêtes avec ma famille dans l’Okanagan. J’avais d’abord acheté la paix en ne fermant pas la porte à cette possibilité. Puis, j’avais préparé le terrain en parlant de mon budget très serré, et en cette ultime fin de semaine, j’avais annoncé que je restait à Montréal pour les fêtes. Bien que la déception pouvait s’entendre dans sa voix comme dans celle de mon père, la discussion s’est mieux déroulée que ce que j’avais anticipé. J’avais craint que ma mère n’offre de me payer le trajet, ruinant l’argument de mon budget, et au fond de moi-même, j’aurais plutôt aimer passer ce Noël en famille. Mais j’étais orgueilleux et voulais aussi projeter l’image solide de celui qui peut très bien vivre sans la famille le temps d’un Noël.
Le destin allait en décider autrement et allait me le faire savoir le jeudi matin suivant.
Il était à peine passé sept heures trente quand le téléphone du Starbucks a sonné. La chose était assez courante et m’indisposait inévitablement. Les matins étaient suffisamment achalandés comme ça sans que nous ayons à répondre aux appels du bureau chef ou des autres succursales moins achalandées. Je venais alors de rapporter du lait au bar à condiment et je plaçais les pichets vides dans le lave-vaisselle. J’étais celui le mieux placé pour répondre, et j’ai donc fait deux pas dans le petit bureau.
Quand j’ai reconnu la voix de ma mère, je lui ai dit que je la rappellerais, mais elle m’a interrompu en me disant que j’allais revenir pour les fêtes, que mon billet était réservé, qu’ils avaient besoin de moi, que mon vol était prévu pour le soir même.
J’ai d’abord voulu protester que l’histoire ne faisait aucun sens, mais comme ma mère ne m’avait jamais appelé au travail, je me sentais confus. J’ai cessé de l’interrompre et l’ai laissée poursuivre.
Du coin de l’œil, j’ai remarqué ma jolie cliente qui était au comptoir devant la caisse, commandant son café à Michel. Ce dernier a lancé un regard dans ma direction, mais son sourire espiègle a disparu de son visage quand il a vu mon expression.
À l’autre bout du fil, ma mère, en pleurs, avait passé le téléphone à mon père, qui m’a donné les détails de mon vol. Je ne me souviens pas d’avoir pris note de ces détails, mais plus tard, ils étaient bien inscrits à l’endos d’une feuille de commande de pâtisserie.
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J’ai donc pris l’avion ce soir de fin décembre, pour rejoindre ma famille à temps pour les fêtes.
Ce Noël serait fort différent pour nous, et fort triste aussi.
Mon seul frère revenait d’une soirée au cinéma de UBC quand une voiture en perte de contrôle était venu le faucher, à une session de la fin de ses études, le laissant entre la vie et la mort, et laissant mon père et ma mère dans une torpeur que personne ne veut voir chez ses parents. Mon grand frère savait ce qu’il ferait dans la vie et jusque-là, il le réussissait bien.
Le grand sapin de Noël, dans son coin du salon, avait cessé d’évoquer la joie, de même que les présents emballés à ses pieds, et demeurés intouchés bien après la veille de Noël.
Ce Noël a été le plus triste de ma vie. Chaque jour passé en partie au chevet de mon frère à l’hôpital avait la cruauté de nous apporter de l’espoir et du désespoir tout à la fois.
Quelques jours avant la fin de l’année, j’ai appelé mes amis du Starbucks de Montréal pour leur donner des nouvelles, bien que rien de précis ne semblait se dessiner à ce moment. J’ai parlé quelques minutes avec Agathe, lui disant que je ne savais pas quand je reviendrais à Montréal. Ma mère voulait que je demeure en BC, mais je ne me sentais pas prêt à renoncer à ma vie parce que celle de mon frère avait été si violemment interrompue. Je voulais tout de même passer du temps avec mes parents, et avec mon frère. Agathe m’assura qu’elle me ferait une place sur l’horaire dès mon retour selon mes besoins et mes disponibilités. Puis, avec un sourire dans la voix, elle m’a dit que ma jolie cliente s’était informée de moi. Où j’étais, ce qui s’était passé le jeudi où elle m’avait vue pour la dernière fois, si je me portais bien… La nouvelle m’a un peu surpris et m’a fait chaud au cœur.
Quand j’ai raccroché le téléphone, je me sentais mieux et du même coup, j’ai réalisé que je m’ennuyais d’elle.
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Mon frère est sorti de son coma après deux semaines de sommeil artificiel.
Une nouvelle année s’étalait devant nous, avec ses incertitudes, ses inquiétudes et ses bonheurs encore insoupçonnés. Mes parents avaient l’air des personnes les plus heureuses du monde. Un peu de réadaptation serait nécessaire pour que mon frère puisse récupérer totalement de son accident, et sa session universitaire était foutue, mais toutes ces choses qui semblaient si importantes quelques semaines auparavant étaient maintenant secondaire; la vie a parfois de drôle de manière de vous faire mettre les choses en perspective.
Et ma vie à moi, elle me rappelait vers Montréal, où j’étais revenu une semaine après le réveil de mon frère. Agathe m’a remis sur l’horaire, j’ai repris quelques cours de français, avec l’intention de faire un retour aux études l’automne suivant. L’année semblait prometteuse, après tout.
Et en ce début de nouvelle année, c’est par un vendredi de fin janvier que j’ai fait mon premier quart de matin au Starbucks Bonaventure. Vers sept heures trente-cinq, j’ai remarqué l’heure au bas de l’écran de ma caisse et j’ai ressenti un petit pincement à l’idée de revoir ma jolie cliente. J’avais un sourire sur le visage juste à l’idée de lui servir à nouveau son café.
- How are you today?
- Well, it’s Friday… I’m happy for your brother.
- Yeah… me too…
J’ai déposé son café sur le comptoir – moitié corsé, moitié velouté – elle a payé, puis m’a sourit.
- Thank you!
- No. Thank you… for the smile… Have a good day!
Prenant son café, elle s’est arrêtée sur le petit comptoir pour y ajouter sucre et lait, et a quitté l’endroit sans un regard en arrière. Si elle avait tourné la tête, elle m’aurait vu, derrière ma caisse, en train de la regarder partir.
Puis, elle m’aurait vu pousser un soupir, et retourner à mes machines à café ou servir un autre client.
Ça fait cinq ans, et jamais je n’ai oublié le sourire qu’elle m’a fait, ni la manière dont elle m’a dit Thank you, en appuyant un peu sur les mots, comme pour exprimer qu’elle me remerciait vraiment et ne le disait pas simplement comme un réflexe.
Je n’ai pas oublié non plus comment elle a semblé sincère en me disant être heureuse pour mon frère. Je ne pourrai jamais l’oublier puisque trois heures plus tard, j’en ai parlé avec Agathe. Elle venait de me taquiner en me disant m’avoir vu parler avec ma jolie cliente. Je lui ai rapporté ce qu’elle m’avait dit, en lui demandant comment étaient les discussions entre elles en mon absence, ce qu’elle avait demandé, comment Agathe lui avait parlé de moi, de mon frère… Agathe m’a expliqué qu’à part une fois où la jolie fille avait demandé de mes nouvelles, elles n’avaient pas parlé, qu’elle ne lui avait jamais parlé de mon frère. Elle lui avait simplement dit que j’allais bien malgré des problèmes familiaux.
Et après les avoir questionnés un par un, il s’est avéré qu’aucun autre de mes collègues ne lui avait parlé de mon frère ou de la raison de mon séjour en BC.
J’avais donc l’intention de lui demander comment elle avait pu être au courant, en imaginant aussi que cette conversation pourrait éventuellement être plus longue que nos habituels propos.
Mais je n’en aurais jamais l’occasion. Car ce vendredi de janvier, où je la revoyais pour la première fois depuis mon retour de l’Okanagan, a aussi été la dernière fois où j’ai vu le beau sourire de ma jolie cliente au teint caramel.
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Pendant un temps, j’ai été intrigué par sa disparition de notre clientèle régulière. Un congé? Un arrêt de travail? Un accident? Un transfert? Tant de possibilités impossibles à explorer. Pourtant, je ne cessais de me dire qu’elle aurait dû me saluer, me dire au revoir, si elle avait dû partir. Son absence me rongeait. Je regrettais alors de ne jamais avoir posé de questions sur son travail, où elle habitait. Mais je ne sais pas si j’aurais eu le courage de la contacter après sa disparition même si j’avais pu.
Je me suis donc lentement habitué à son absence, mais certains matins, mon cœur se serrait, vers sept heure trente cinq, à l’idée qu’il était toujours possible que l’on me commande un moitié corsé, moitié velouté, avec une belle voix un peu rauque, et qu’en me tournant, je verrais encore le soleil se lever avec son sourire.
Les semaines ont passé, comme elles le font toujours malgré tout, et le printemps est arrivé, faisant sortir les montréalais à nouveau après que le froid hivernal ne les ait transformé en ermites, et j’ai accepté que je ne la reverrais certainement jamais.
L’arrivée du printemps a été une grande fête dans la maison de mes parents également. Mon frère avait totalement récupéré de son accident et devait faire sa dernière session de cours à UBC dès l’automne suivant. Pour ma part, j’avais fait une demande d’admission au programme de traduction de l’université McGill. Je resterais donc loin de la maison familiale, mais pour mes parents, je reprenais au moins la bonne voie.
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Cinq ans déjà.
Et cinq ans plus tard, par une autre fin de décembre, c’est confortablement installé dans un petit chalet de St-François du Lac, à une heure de Montréal, que je me remémore ces événements et le sourire de ma jolie cliente.
Il s’en est passé des choses en cinq ans. Des Noëls en famille, d’autres célébrés seul. Une graduation en traduction et une relation amoureuse avec une jeune québécoise, qui n’a duré qu’un an mais qui a été passionnée. Deux voyages à l’étranger pour éviter de trop m’habituer au froid intense et à la neige. Et maintenant, une visite de Caroline à Montréal.
Elle a terminé ses études en archéologie, a effectué des stages en Amérique du Sud et s’est spécialisée. Elle parle aussi espagnol alors que mon français est maintenant satisfaisant. Elle aura toujours un pas d’avance sur moi.
Mais aujourd’hui, au moins, nous savons tous deux où nous voulons aller, et ce Noël dans un chalet de campagne, c’est un beau moment que la vie nous offre.
J’ai bon espoir, car ma vie à Montréal m’aura rendu optimiste. Certaines personnes sont persuadées d’avoir un ange gardien. Moi je n’en sais rien. Mais je sais que j’ai une jolie cliente. C’est un peu fou comme pensée, mais ce n’est pas plus fou que de croire qu’une simple cliente de café peut avoir changé votre vie.
Cinq ans et pas un Noël sans que je ne pense à elle. Parfois, je me demande quelle serait ma réaction si je revoyais son sourire.
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Hugues Morin
St-François du Lac
24-25 décembre 2005

© Hugues Morin 2005

Qu'est-ce que l'Esprit Vagabond


L'Esprit Vagabond est une journal de bord personnel que j'ai créé en 1994 lors de mon inscription à l'APAQ (Association de Presse Amateure du Québec), fondée par Benoît Girard.
L'Esprit Vagabond a été publié sur une base trimestrielle assez régulière de 1994 à 1999, puis sur une base irrégulière de 1999 à 2004.
Une vingtaine de numéros ont d'abord été publiés avec l'intitulé L'Esprit Vagabond et le numéro en chiffres romains. Puis, le journal a pris des titres différents à chaque publication par la suite (L'Esprit Vagabond au bout du monde, L'Esprit Vagabond aux royaume des ombres, Les Esprits Vagabonds rêvent-ils de projecteurs organiques?, Le Vagabond retrouve l'Esprit, etc.).
Au cours de son existence, ce journal de bord a été principalement publié sur format papier, mais un numéro a été publié sous format vidéo (VHS, L'Esprit Vagabond XIV) et un autre a été publié sous format CD-ROM (L'Esprit Vagabond Multimédia).
Le numéro de Novembre 2003 a marqué la fin de la publication de l'Esprit Vagabond sur format papier et était justement intitulé "L'Esprit Vagabond FIN".
Après dix ans en format papier, ce journal de bord continue donc ici sa petite existence en format en ligne depuis février 2004.
Le contenu de l'édition papier variait d'une publication à l'autre, mais comportait principalement des entrées concernant mes projets, mes idées, des citations, des commentaires sur la musique, la littérature ou le cinéma ainsi que les réponses aux journaux des autres membres de l'APAQ. Au début de 2004, le passage en ligne est apparu utile pour donner des nouvelles sur la préparation de mon projet en Équateur et pour me servir de ce journal en ligne pour y faire d'autres entrées lors de mon séjour sur place.
Depuis, j'ai souvent repris la route et n'ai donc cessé de publier sur ce journal de bord, principalement sur le voyage et mes aventures à l'étranger.
Enfin, l'Esprit Vagabond, à partir d'un journal, est aussi devenu un peu mon site officiel, puisque depuis qu'on peut y publier des albums photos, et autres éléments, j'y regroupe de plus en plus l'ensemble de mes activités sur le web ainsi que quelques archives, comme ce texte de présentation, par exemple.
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Quelques en-têtes d'archive tirées de l'époque "papier" de L'Esprit Vagabond:


En-tête de «Be cool», la seconde partie de l'édition de mai 2001 (édition en trois parties)


En-tête de l'édition d'août 2001


Une photographie futuriste intitulée Vancouver 2029
en couverture de l'édition de novembre 2002


En-tête de la dernière édition papier, en novembre 2003.
Cette édition marquait aussi la dernière publication de l'APAQ.
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Dans le texte:  En-tête de l'édition XIa de février 1997 et En-tête de l'édition multimédia d'août 2002
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jeudi 25 mars 2010

Salmigondis cinématographiques

Je profite du printemps qui hésite - et d'un contrat qui m'occupe beaucoup - pour m'isoler un brin, reprendre mon souffle entre deux voyages (je devrais repartir cet été) et jouer à l'ermite-amateur de cinéma. Je loue donc régulièrement des films et va un peu plus souvent au cinéma, question de renouer avec un de mes arts favoris.
Si ces retrouvailles avec le 7e art ont été fabuleuses avant les Oscars - j'ai vu une douzaine de films en deux semaines, dont la plupart étaient excellents - la cuvée actuelle de cinéma et DVD m'a parfois laissée sur ma faim (surtout au début) mais ça s'est amélioré avec les visionnements.
Le premier film décevant que j'ai visionné a été The Box. La prémisse est intrigante et le film est réalisé par celui qui nous avait donné l'excellent (et culte) Donnie Darko. J'avais donc un minimum d'attentes... Si la première moitié est correctement menée et installe une intrigue satisfaisante, le film s'essouffle ensuite et s'embourbe même dans des considérations qui frôlent le n'importe quoi. Je ne suis pas certain d'avoir tout compris - et peut-être que si j'ai raté l'explication principale, j'ai raté l'intérêt du film - mais je suis habituellement assez bon à décoder les intrigues tarabiscotées et ma foi, le film était malheureusement du genre qui se détériore avec chaque scène, et avec une fin qui, sous le couvert de la surprise mouillée, laisse un goût amer en plus d'être plutôt prévisible et convenue.
Le même soir, j'ai eu beaucoup plus de plaisir à voir le pourtant moyen Whatever works, de Woody Allen. Le cinéaste retrouvait New York après ses films européens, et retrouvait aussi ses tics et habitudes de comédie socio-romantique dominée par un personnage sarcastique et misanthrope. Ces redites sur divers thèmes déjà explorées par Woody font de Whatever works un film moins intéressant que les récents Match Point ou Vicky Cristina Barcelona, par exemple. Par contre, même un Woody moyen comporte son lot de bons moments et de petites trouvailles de réalisation et de scénario. Je retiens ces deux échanges parmi les bons moments du film:
"I was almost nominated for a Nobel prize.
- Yeah, that's right, what was it for, Best Picture?"
et
"Take me some place fun!
- What about the Holocaust Museum?"
Le meilleur des films loués récemment s'est avéré une surprise. Je ne m'attendais pas nécessairement à ce que m'a offert The Informant, de Steven Soderbergh, avec Matt Damon. Un petit bijou comique et délirant qui camoufle plusieurs styles de films en un divertissement fort plaisant à visionner. L'interprétation de Damon est savoureuse, mais ce sont les multiples répliques délirantes et décalées qui passent par la tête de son personnage qui donnent une couleur particulière à un scénario qui vous surprendra peu importe vos attentes. Je ne sais pas si le film a été bien accueilli à sa sortie cinéma, mais son visionnement en DVD vaut amplement le coût de location. Et, fait intéressant, le film procure l'effet inverse de The Box: il ne cesse de devenir meilleur avec les minutes qui passent.
Damon est aussi bon au cinéma, dans Green Zone. La bande-annonce laissait presque croire qu'il s'agissait d'un autre volet des aventures de Jason Bourne, puisque l'acteur est, une fois de plus, dirigé par le cinéaste Paul Greengrass. J'avais donc un peu peur que Green Zone ne souffre de la comparaison - je suis de ceux qui ont adorés les deux Bourne signés Greengrass. Si la réalisation très réaliste rappelle le style particulier du cinéaste, le sujet, lui, laisse rapidement l'effet Bourne de côté au profit d'un scénario bien ficelé, d'une crédibilité dérangeante et supporté par des personnages bien développés dans les circonstances.
Après l'Oscar de The Hurt Locker et les enquêtes publiques au Royaume Uni, Green Zone arrive alors que son sujet est criant d'actualité, ce qui fait profiter le film d'un cran de réalisme supplémentaire. Et comme l'action ne manque pas non plus, Green Zone s'avère pour le moment un des meilleurs films que j'ai vu en 2010. (Ultimement, le film possède les mêmes qualités que les autres collaboration de Damon avec Greengrass, alors si vous aimez le genre, vous ne serai pas déçu par Green Zone).
Du côté du Québec, j'ai pu voir un film d'un tout autre genre: Les 7 jours du talion, de Podz, réalisé à partir d'un scénario de Patrick Senécal (adapté de son roman).
Je me réserve le sujet de ce film pour un billet plus détaillé, alors je me contenterai ici de dire que si vous aimez le genre de Patrick, si vous avez aimé le roman, et si vous savez à quoi vous attendre, vous ne trouverez pas que le Talion fait les choses à moitié. C'est certainement la meilleure adaptation qu'il était possible de faire de cette histoire noire et dure. Je pense entre autres à l'absence de trame sonore, à la direction photo (le film est presque en noir et blanc) et aux nombreux effets de mise au point. Podz s'avère le réalisateur qu'il fallait pour tourner Les 7 jours du talion. Par contre, si vous cherchez un feel good movie, passez votre chemin et attendez un autre soir pour voir Le Talion.
(Par un étonnant concours de circonstances, lors de mon passage au Lac St-Jean, j'ai vu Le talion dans le même cinéma où j'avais vu 5150 rue des ormes l'automne dernier).
Voilà pour le moment... J'ai raté l'occasion de voir Los Abrazos rotos de Almodovar, mais je me reprendrai très bientôt, puisque j'adore ce qu'il a fait auparavant, et que Penelope Cruz est rarement aussi fascinante que dans les rôles qu'elle interprète pour le réalisateur espagnol.
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vendredi 12 mars 2010

De glaces, de tournages, de patineuse et d'esprit de clocher: Des nouvelles du Lac

Je viens de passer quelques jours au Lac St-Jean et il n'y a rien de tel pour que je retrouve mes belles valeurs traditionnelles jeannoises.
J'étais de passage mercredi dernier à Roberval, ma ville natale et comme je viens rarement l'hiver à Roberval, j'ai profité de cette visite exceptionnelle (mais éclair) pour aller voir le Village sur glace.
À Roberval, depuis plusieurs années déjà, ce qui a commencé comme une idée un peu originale est devenue une tradition et s'est développé énormément. On installe, sur le Lac St-Jean, gelé pour l'hiver, des petites maisonnettes qui forment une sorte de village, et les gens y vivent à temps partiel (ou temps plein) un peu comme certains le font dans un chalet l'été.
L'ensemble est assez charmant, entouré d'un anneau de glace, de sentiers de neige, agrémenté de patinoires et autres activités typiquement hivernales.
Malheureusement pour les photos, vu l'hiver particulièrement doux cette année, la glace fond plus vite que de coutume et une partie des villageois ont déjà retiré leur chalet sur glace du village.
N'empêche, l'ensemble n'est pas dépourvu de charme, et l'horizon bleu et blanc offert par le Lac St-Jean gelé est un parfait décor pour un tel village.
J'ai aussi vu la Mairie du village sur glace et noté le panneau de félicitations à Marianne St-Gelais, double médaillée d'argent aux Jeux Olympiques de Vancouver. (Au centre de la photo ci-contre).
Après tout, quel meilleur endroit pour rendre hommage à une patineuse qu'un village entièrement érigé sur la glace?
Au centre-ville, je suis allé casser la croûte avec mon ami Jean-Luc à l'Amaretto, le resto-pub situé sur le boulevard St-Joseph. En face du pub, j'ai pris cette photo du salon de coiffure / barbier qui est à cet endroit depuis aussi loin que je me rappelle.
Je ne sais pas à quoi il servira dans le film "Le Vendeur", de Sébastien Pilote, mais une semaine avant mon passage, le salon en question était le lieu de tournage de scènes de ce long métrage québécois. Le vendeur du titre, personnage principal du film, est un vendeur de voiture, pas un barbier.
D'ailleurs, les scènes tournées sur son lieu de travail ont été tournées à Dolbeau-Mistassini, où j'ai passé le plus clair de mon temps pendant mes quelques jours au Lac. Le réalisateur raconte dans une entrevue publiée dans un journal régional, qu'il avait choisi le Lac St-Jean pour tourner ses scènes d'hiver avec de la neige.
Il est tombé sur un des hivers les plus doux de l'histoire du Lac, et a dû se faire livrer de la neige par des voisins et des entrepreneurs, pour s'assurer d'en avoir sur le tournage! Mon ami Jean-Luc m'a d'ailleurs confirmé (en m'envoyant la photo ci-contre pendant le tournage devant le salon de coiffure de la photo précédente) que la Ville de Roberval a livré de la neige sur ce lieu de tournage sans arrêt, puisque la neige fondait à mesure! (On peut aussi apercevoir l'Amaretto sur le coin de rue en face du salon).
L'édifice à côté de l'Amaretto (qu'on ne voit pas sur ces photos) abrite un magasin à rayons arborant une affiche informant sa clientèle en français, anglais et atikamekw! Après les affiches en maya du Guatemala, j'ai trouvé original d'immortaliser celle-ci, issue de ma ville natale.
En revenant vers Dolbeau-Mistassini, je suis passé par St-Félicien et j'ai vu cet hommage à Marianne St-Gelais, à l'entrée de la ville qu'elle a longtemps habité (elle habite maintenant Montréal, où elle s'entraîne).
Bon, l'affiche est plus grande que celle de Roberval... Mais pas située dans un site aussi charmant qu'un village sur glace, non?
Haha, vous aurez compris que je parodie ce typique esprit de clocher qui caractérise bien souvent les petites villes de région.
C'est parce que vous ignorez que depuis que Roberval a son village sur glace... St-Félicien a décidé d'avoir le sien aussi :-)... Hum, comme St-Félicien n'est pas une ville donnant sur le Lac St-Jean (mais sur une rivière), cet hiver trop doux les a empêché d'ériger le village cette année faute de glace...
Il a donc été déplacé sur un terrain vague derrière le Cégep le long de la route régionale, entouré de slush et de boue... et ce, bien à l'abri sous une ligne à haute tension... Charmant! :-)
Gnagnagna.
Esprit de clocher, moi? Pfff...!
Au fait - juste pour être certain que vous ayez les bonnes informations - saviez-vous où elle est née, Marianne St-Gelais?
À Roberval, bien entendu...
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Bon, il est temps que je parte du Lac, moi!

lundi 8 mars 2010

Oscars 2010: Une soirée (presque) sans surprise

Je n'ai pas blogué en direct des Oscars hier soir, puisque finalement, il n'y avait pas grand chose à dire pendant le gala lui-même.
La soirée a été animée de manière compétente mais sans véritable éclat par Steve Martin et Alec Baldwin, et malgré le retrait de certains numéros traditionnels (les chansons originales, par exemple), on a eu droit à un gala à peu près de la même longueur.
Une soirée sans grande surprise que ces Oscars 2010.
Si six de mes huit prédictions se sont avérées exactes (je n'ai erré que pour les scénarios), c'est que la soirée s'est avérée encore plus prévisible que je ne le croyais à l'origine. Dès l'Oscar du meilleur scénario original, The Hurt Locker - dont le scénario n'est pas la principale force d'après moi - a causé la seule véritable surprise de la soirée de mon point de vue. Mais ce faisant, on annonçait déjà la couleur de l'Académie pour les deux derniers trophées (réalisation et meilleur film). Quelques minutes plus tard, en donnant les deux Oscars du son (mixage et montage) à The Hurt Locker, la tendance était confirmée et on savait que le film de Katrhyn Bigelow allait rafler le reste des catégories importantes.
Cette prévisibilité a enlevé beaucoup d'intérêt au reste du gala, évidemment.
Sinon, j'étais bien content de l'Oscar de la meilleure trame sonore pour Up (plus entrainante et moins traditionnelle que celle d'Avatar). Up a remporté sans aucune surprise l'Oscar du meilleur film d'animation (logique, c'était le seul film de cette catégorie aussi en nomination à titre de meilleur film - quand on parle de prévisibilité). Par contre, j'avais pour ma part beaucoup aimé Coraline, que j'avais trouvé plus original à la fois dans son scénario et sa réalisation.
Voilà... Le gala lui-même était correct sans être relevé, il ne passera pas à l'histoire, mais contenait quelques idées que j'aimerais revoir dans la futur, comme les présentations des nominés comme meilleurs acteurs/actrices par des collègues, par exemple. Par contre, les danses modernes sur fond de trame sonore nominées étaient un peu ennuyantes.
En terminant, une conclusion politique: N'étant pas militant mais plutôt puriste en ce qui concerne les prix de ce genre, je suis content que Kathryn Bigelow ait été la première femme à remporter l'Oscar de la réalisation et du meilleur film. Comme ça, c'est fait, et on n'en parlera plus (pour moi, le sexe du réalisateur n'a aucun rapport avec le fait qu'il ou elle réalise le meilleur film. L'identité de son/ses ex non plus :-).
Ceci dit, elle aurait du crier: "I'm the queen of the world!", ça aurait probablement été le moment le plus drôle de la soirée!
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samedi 6 mars 2010

Oscars 2010 - Mes prédictions!

Bon, à moins de 35 heures des Oscars, c'est le temps de se commettre. S'il est assez facile de faire une liste de ces choix personnels aux Oscars, il est plus ardu de se commettre en prédiction. Les Oscars dépendent de plusieurs choses, comme je l'ai montré dans mon petit billet sur les chances d'Avatar.
Voici donc sans plus tarder...
Les prédictions de l'Esprit Vagabond.

Meilleur acteur: Jeff Bridges.
Ceci ne fait aucun doute. Je n'ai pas vu le film, mais de ce que j'ai lu de sa performance, c'est un Oscar assuré. Si on prends aussi en compte que c'est la 5e nomination de Jeff Bridges, et que l'acteur n'a jamais gagné l'Oscar, ça semble être dans la poche; les membres de l'académie auront l'impression de récompenser une belle performance et reconnaître sa qualité d'acteur pour l'ensemble de sa carrière. Pool d'Oscars? Misez sur Bridges.
Meilleure actrice: Sandra Bullock.
Si la lutte semble plus serrée dans cette catégorie, entre Bullock et Meryl Streep, l'avantage est pour Sandra Bullock. Oui, ils jouent toutes deux des personnes réelles, et oui, elles sont toutes deux aimées du public et de l'académie. Par contre, Bullock n'a jamais réussi à se hausser à se niveau de reconnaissance et Streep, malgré des tonnes de nominations sans Oscars dans les dernières années, a déjà remporté l'Oscar à deux reprises. De plus, Streep est en nomination pour une comédie et il est très rare qu'un acteur remporte l'Oscar pour un rôle dans une comédie. Enfin, le film de Bullock (The Blind Side) est aussi la nomination surprise pour le meilleur film, alors que le film de Streep (Julie & Julia) obtient avec elle sa seule nomination. Tous des indicateurs que le vent souffle du côté de Sandra Bullock.
Meilleur acteur de soutien: Christopher Waltz.
J'ai mal à imaginer que l'Oscar ne lui soit pas décerné, si on ne parlait que de performance artistique de l'année. L'académie a aimé le film (qui a 8 nominations, dont 4 dans des catégories majeures, ce qui est mieux qu'Avatar, au fond) et la compétition ne semble pas si intense dans cette catégorie que dans les autres. Matt Damon est encore jeune, on lui donnera le temps, et Stanley Tucci est toujours bon mais on attendra un rôle plus dramatique (et pas SF/fantastique) pour le reconnaître. Christopher Plummer pourrait créer une surprise, par contre, puisqu'à 80 ans, et avec sa première nomination en carrière, certains voudront lui remettre cet Oscars de style honorifique. Je pense que l'interprétation de Waltz l'emportera sur cet effet, mais de peu.
Meilleure actrice de soutien: Mo'Nique.
Je vous l'accorde, celui-ci est un guess, basé sur les rumeurs entourant toujours les Oscars. Je n'ai pas vu le film, donc impossible de juger si ces buzz sont fondés ou pas. Je peux tout de même voir les éléments suivants: Vera Farmiga et Anna Kendrick étaient bonnes dans Up in the Air, mais pas assez pour un Oscar, d'après moi. Penelope Cruz l'a remporté récemment pour Vicky Cristina Barcelona, ce qui influence toujours un peu l'esprit des membres de l'académie. Reste Mo'Nique, pour un film où l'actrice (Gabourey Sidibe) aura perdu l'Oscar aux mains de Sandra Bullock. Ce sera donc l'oscar principal de Precious. Maggie Gyllenhaal pourrait créer une petite surprise, puisqu'elle est toujours bonne, et appréciée de la critique et du public, et qu'il s'agit de sa toute première nomination. Elle est encore jeune, par contre, et l'académie jugera probablement qu'elle aura bien d'autres rôles lui permettant éventuellement d'être récompensée aux Oscars, ce qui n'est pas nécessairement le cas de Mo'Nique. Enfin, l'académie aime bien récompenser l'outsider de temps à autres.
Meilleur scénario adapté: Up in the air.
Avec six nominations, toutes dans des catégories majeures, le film de Jason Reitman est fortement apprécié et on voudra le récompenser... Par contre, comme on l'a vu plus haut, il échappera les Oscars des catégorie d'acteurs et je ne pense pas qu'il ait des chances du côté Meilleur film ou Meilleur réalisateur. Restera donc l'Oscar pour le scénario adapté, où la compétition est moins forte. In the loop était plus original et savoureux, mais demeure un outsider très peu probable pour l'Oscar, et District 9 est déjà une surprise dans cette catégorie, en plus d'être un film de SF.
Meilleur scénario original: Inglorious Basterds.
Les autres Oscars échapperont peut-être à Tarantino (film et réalisation), mais je doute que celui du scénario original ne lui échappe. La compétition se déroule entre lui, A Serious Man des frères Coen et The Hurt Locker, qui a le vent dans les voiles mais dont le scénario demeure assez traditionnel et moins typiquement original que celui d'Inglorious Basterds. L'académie aime bien l'originalité (au sens premier) dans cette catégorie, alors les frères Coen pourraient encore repartir avec l'Oscar, mais ils ont remporté cette récompense pour No Country for Old Men (et c'était leur second Oscar pour le scénario, en plus d'être régulièrement nominés). Tarantino en est seulement à sa seconde nomination pour le scénario... Il avait remporté l'Oscar pour Pulp Fiction en 1994, mais on a salué l'excellence de chacun de ses scénarios depuis, alors je pense qu'il l'emportera cette année.
Meilleur réalisateur: Kathryn Bigelow.
Si Inglorious Basterds et Up in the Air sont très bien réalisés, leur réalisateur n'a pas nécessairement transcendé leur scénario. James Cameron avec Avatar a fait le travail de réalisateur le plus impressionnant de l'année. Kathryn Bigelow a réussi, grâce à son travail, à faire de The Hurt Locker un meilleur film que son scénario n'aurait pu laisser croire. C'est donc entre ces deux-là que ça se jouera. Si l'avantage semble être du côté de Bigelow, qui a remporté plusieurs des prix remis dans d'autres galas cette année, il ne faudrait pas sous-estimer le fait que l'académie voudra peut-être récompenser Avatar même s'il ne gagnera pas l'Oscar du meilleur film. Comme je pense que c'est 50/50 à ce moment-ci, et que mon choix serait de récompenser Cameron, je prédis que l'académie lui préfèrera Bigelow. Ceci correspondrait aussi à une tendance au balayage de récompenses; The Hurt Locker pouvant répéter ici les prix obtenus en rafales dans les années passées par Slumdog Millionnaire ou Crash, par exemple (puisque plusieurs personnes sont membres votants de plus d'une association dont l'Académie). Enfin, Cameron a remporté cet Oscar pour son dernier film (Titanic) alors que Bigelow en est à sa toute première nomination.
Meilleur film: The Hurt Locker.
De justesse. Si on lit ce qui se dit ici et là sur le web, on dirait que tout pointe vers l'Oscar pour ce film. Tout, vraiment? J'ai déjà expliqué pourquoi cet Oscar n'irait pas à Avatar, et quelques autres films sont déjà des nominations surprises (The Blind Side, Up, An Education, District 9). Reste donc The Hurt Locker et Inglorious Basterds, qui pourrait causer la surprise - surtout avec le nouveau système de votation qui pourrait lui conférer un avantage si les choses sont réellement serrées car il ne sera pas très loin sur les listes des membres votants. L'ensemble des autres prix remis récemment avantagent toutefois The Hurt Locker. Pourtant, c'est loin d'être gagné, puisqu'il deviendrait le film remportant l'Oscar du meilleur film à avoir remporté le moins de recettes aux box office de l'histoire des Oscars. Le record absolu actuel est détenu par Annie Hall (1977, 38 millions - 130 millions en $ ajustés). Le record de la dernière décennie appartient à Crash (2004, 53 millions). Or, l'académie se fait souvent reprocher de récompenser des films obscurs et peu populaires, ce qui n'est pas bon pour la popularité générale du cinéma et des Oscars en particulier. L'idée d'incorporer 10 films en nomination dans cette catégorie cette année découle justement de cette préoccupation d'être plus "populiste"... et on irait donner l'Oscar au film le moins populaire de ce groupe sélect? Hum... J'ai hâte de voir, mais je ne miserais pas tout mon argent sur The Hurt Locker, même s'il est encore le favori... Ce cher Quentin pourrait bien repartir avec son premier Oscar pour meilleur film, d'après moi.
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Voilà pour mes prédictions dans les huit catégories principales. Où ai-je erré? Quelle est votre analyse de la situation? Commentez! Et on se reparle en direct dimanche soir!
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