dimanche 17 juin 2012

Crise Sociale: Effritement du tissu social (2)

Après avoir exploré quelques ruptures sociales dans la première partie de ce billet, je m'attarderai ici aux impacts plus directs sur les personnes; le tissu social de proximité.
La famille, les amis
A part les relations qui nous lient avec les citoyens anonymes qui nous entourent et qui sont régit par les institutions sociales, il existe également un autre élément au tissu social, peut-être encore plus important; c'est le tissu social immédiat, celui de la famille et des amis, connaissances et collègues. Ce sont ces gens qui forment le noyau de relations personnelles qui cimente la vie de la plupart des gens.
Signe de l'importance de cet aspect du tissu social; une majorité (que l'on aime dire silencieuse, mais à qui on prête l'opinion qui nous convient) préfère ne pas se prononcer sur la crise, sur l'enjeu initial, ni sur les opinions émises d'un côté comme de l'autre. J'y vois pour ma part un mélange de trois éléments minoritaires: 1. Une ignorance volontaire (les questions sociales ne m'intéressent pas); 2. Une paresse assumée (trop compliqué à suivre, demande du temps pour s'informer, j'ai un travail exigeant, des enfants à m'occuper) et 3. La délégation de l'opinion (j'ai élu le gouvernement pour qu'il règle ça, des gens manifestent pour moi, des chroniqueurs expriment déjà mon opinion). Je crois pourtant que ces éléments reflètent autre chose: J'y vois surtout un effet de la volonté de plusieurs de préserver (protéger) leur tissu de relations personnelles: Si on n'en parle pas, on se chicanera pas. Ces gens semblent être majoritaires vu que les étudiants, manifestants et autres intervenants sur les réseaux sociaux comptent pour moins de la moitié de la population. Pour ces gens, donc, le tissu social de proximité est plus important que le politique et que la confiance envers les institutions.
Personnellement, je me suis impliqué sur ce blogue, en prenant position dès le début sur l'enjeu initial, j'ai continué à exprimer une opinion assumée (mais néanmoins basée sur des faits et qui tente d'éviter les préjugés et la facilité), et j'ai également été impliqué sur les réseaux sociaux (donc mettant mes opinions en contact direct avec mon tissu de relation personnel).
Pendant la crise, j'ai été traité de borné, j'ai été traité d'attardé et on m'a demandé, publiquement, de passer à autre chose. C'est dur sur le tissu social de proximité, surtout que ces commentaires ont été avancés par des proches, ou au vu et au su de proches qui n'ont pas réagit à ces insultes. Qu'on ne soit pas de mon avis, j'en suis fort aise. Qu'on argumente en faveur d'une opinion divergente, bravo. Qu'on confronte mes arguments à l'aide de faits, et vous attirerez mon respect. Mais que l'on m'insulte ou que l'on traite avec condescendance mon implication comme citoyen dans un débat de société, c'est plus dur à accepter. Surtout que je n'insulte personne, ni ne traite avec condescendance les gens qui argumentent et s'expriment à partir de faits ou d'idées articulées intelligemment. Même ceux qui n'expriment que des préjugés réducteurs, je leur mentionne au passage qu'ils devraient s'informer et bien articuler leur opinion, quelle qu'elle soit.
Je lisais sur Twitter un commentaire qui m'a fait penser à cet effritement du tissu social que risque désormais le citoyen qui a participé au débat au Québec: "C'est dur de voir les personnes que tu connais devenir des personnes que tu connaissais" (Mélissa Dufresne).
Le chroniqueur de droite Mathieu Bock-Côté, dont je ne partage pas l'idéologie, mais pour lequel j'ai un grand respect vu l'intelligence de ces propos, mentionnais justement sur son blogue:
"Un jour, demain, après-demain, dans un mois ou dans un an, la crise étudiante se terminera. Les étudiants recommenceront à étudier, les policiers recommenceront à coller des amendes inutiles (...) les militants de droite cesseront de s’imaginer que le communisme est à nos portes. À ce moment, j’ai l’impression que nous ressentirons les violentes déchirures du lien social auxquelles nous assistons en ce moment." (Mathieu Bock-Côté, Les amitiés rompues.)
L'ascenseur social
S'ajoutent au conflit initial, les racines qui lui ont permis de devenir un mouvement social important. Ces racines (que je tenterai d'explorer dans un billet à part), elles trouvent aussi leur place dans le tissu social personnel. Dans mon propre réseau famille-amis-connaissances-collègues, on retrouve beaucoup de gens, de diverses origines sociales, et qui se trouvent donc à divers endroits sur "l'ascenseur social".
Comme le souligne Stéphane Baillargeon, dans un récent article, " «L’ascenseur social est en panne depuis trente ans, note M. Kelly. Durant les trente glorieuses, après la Deuxième Guerre mondiale, les individus avaient bon espoir de monter d’un, deux ou trois niveaux. À partir des années 1980, le retour du balancier défavorise les nouvelles générations. Le niveau de vie stagne ou régresse. C’est l’impasse et l’adieu au progrès.». Pour lui, une série de déclassements sociaux expliquent donc les choix des étudiants en grève et des tapeurs de chaudrons. « La rationalité du gréviste voit la solidarité comme réflexe de survie dans un monde marqué par une insécurité croissante »." (Monarcho-libéraux contre républicains, Le Devoir, philosophie et sociologie, 2 juin 2012).
Un pas de plus
Les discussions qui touchent les proches remettent aussi en cause cet ascenseur social, comme je l'ai moi-même exprimé en réplique à un commentaire reçu d'un proche sur un réseau social:
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"Vous savez combien j’aime donner de mon temps, que je tente toujours d’aider mes proches, de prendre soin d’eux ou de leurs amis dans les cas de besoin, que je n’hésite pas à prendre de mon temps, du temps que je pourrais consacrer à travailler plus et faire plus de cash pour mon confort personnel, pour aider les gens que j’aime et que j’estime, pour leur donner des conseils s’ils en demandent. Vous savez que j’encourage plusieurs causes incluant l’aide aux citoyens du monde qui n’ont pas eu la chance que nous avons de juste naître à la bonne place – et pas seulement par des dons d’argent, mais par du temps et de l’implication volontaire et bénévole parfois pendant des mois. Et bien ces valeurs humanistes qui m’habitent et que vous m’avez souvent dit admirer chez moi, elles ne peuvent pas me dire de me fermer la gueule aujourd’hui, et surtout pas sous le prétexte de ne pas déranger ma famille et mes amis. Me fermer la gueule serait renier ces valeurs, ça serait bien pire que vous emmerder avec des liens et commentaires personnels sur MA page Facebook.
Mais je m’excuse vraiment d’être dérangeant. Je m’excuse de défendre le modèle social qui a permis à beaucoup d’entre vous d’avoir un travail bien rémunéré dans la fonction publique, d’avoir une retraite bien méritée avant 60 ans. À mon âge, 46 ans, je me bats pour ce modèle de société que le Québec a bâti il y a longtemps, et que plusieurs gens très fortuné détournent pour leur avantage, et ce, avec le consentement complice de ceux qui choisissent le confort du silence et de ceux qui votent pour leurs politiques parce qu’ils sont trop ignorants ou trop paresseux pour s’informer. Je m’excuse de tenter de conserver les acquis sociaux du Québec, qui, dans 20 ans, me permettront peut-être, avec de la chance, qu’il reste un peu de ce filet social pour me payer quelque rente de retraite, moi qui aurai contribué à la RRQ toute ma vie durant. Je m’excuse de défendre un système social qui permettra peut-être à vos enfants et petits-enfants, dans 15 ou 20 ans de ne pas avoir à payer 20000$ de frais scolaire par année d’université, de s’endetter à outrance ou de ne pas accéder aux études que vous et moi avons pu avoir. Je m’excuse de défendre et tenter de préserver le modèle social qui a fait du Québec un des endroits au monde où on a le mieux résisté à la crise économique. Je suis désolé de vous emmerder à tenter de sensibiliser les gens à ce système, qui garantira peut-être un jour un accès pas trop cher à des soins pour mes vieux jours, soins que j’aurai payé de mes impôts toute ma vie durant et que vous aurez eu pendant votre vie. Si vous vivez jusqu’à 80-90 ans, vous allez autant en profiter que moi, s’il existe encore, notre système de santé.
Pour ceux qui n’ont pas encore compris – ou qui ne veulent même pas savoir – ce qui se passe en ce moment au Québec, et qui croient que l’on se bat pour 1625$ par an ; notez que j’ai terminé mes études il y a 20 ans, si vous n’avez pas encore compris ce qui se passe et pourquoi je me bât, pas pour MOI seul comme un individualiste égoïste, mais pour TOUS les québécois qui vivent ici actuellement et tous ceux qui viendront après moi, alors effacez-moi de votre Facebook, vous pourrez alors dormir sur vos oreilles sans être emmerdés par mes commentaires.
Je refuse de juste prendre mon cash et me la fermer sous prétexte que j’ai les moyens de me passer du filet social qui existe ici, juste parce que je fais assez d’argent pour me foutre de ce que ceux qui n’ont pas eu ma chance vivent ou peuvent vivre. Non."
(Extrait de ma page Facebook, le texte original est plus long et un peu plus cru).
Plus jamais le même par la suite
J'avais jusque-là décidé de garder un profil bas en ce qui concernait mes contacts personnels. Aucune allusion directe à la crise ou mes opinions dans des courriels ou communications personnelles (à moins que le correspondant ne s'avance lui-même). Limite des visites et rencontres, justement pour protéger cet aspect du tissu social et respecter la position de plusieurs de ne pas aborder la question. J'avais aussi adopté un discours qui faisait fi de toute situation personnelle, que ça soit la mienne ou celle de mes proches.
Ainsi, en répondant à ce commentaire, qui m'avait profondément insulté, en exprimant ce point de vue, il était évident pour moi, au moment même de le publier, que mon tissu social ne serait plus jamais le même par la suite.
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(*) Ne prenons qu'un exemple, celui du jeune accusé de méfait dans le métro (briques déposées, pas l'affaire des engins fumigènes). La police s'est servi de son appel quand il a découvert le corps de sa soeur, pour le suivre et l'arrêter sur la route alors qu'il se rendait à ses funérailles en compagnie de sa famille. Comme j'ai participé à plusieurs marches de quartier, illégales selon la Loi 78 (au moins une douzaine), s'il arrivait que j'ai besoin de la police, j'hésiterais. 12 * 5 000 $ d'amende représentent un risque minimal de 60 000$ si jamais je tombais sur un policier revanchard qui décidait de ressortir des photos de manifestations - les policiers nous prennent en photo au coin de Beaubien St-Denis certains soirs de casseroles). Je ne ferai donc pas volontairement appel à la police désormais. 

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