vendredi 15 mars 2013

Voyage en résidence et voyage en déplacement

Après une douzaine de séjours prolongés (de deux à cinq mois) à l'étranger au cours des dix dernières années, je pousse ma réflexion sur le voyage et le dépaysement vers la nette différence d'expérience entre le voyage "en résidence" et le voyage "en déplacement".

Deux styles de voyage prolongé
Par voyage en résidence, j'entends un séjour à l'étrange dont la grande majorité (disons plus de 80% du séjour) est effectué en résidant à un seul endroit, à partir duquel l'exploration se fait. C'est le voyage en rayonnement (des visites autour du point de résidence).
Par voyage en déplacement, j'entends un séjour à l'étranger dont la grande majorité est effectuée en se déplaçant constamment d'un lieu à l'autre, effectuant donc les explorations au fil de ces déplacements. C'est le voyage en ligne (trajet "linéaire" sans point central).

Quelques cas de figure (tirés de mes voyages)
Les expérience personnelles sur lesquels je m'appuie pour ces réflexions sont les suivantes, et elles fournissent de bons exemples-types des deux genres de voyage dont on parle ici.
Pour les fins de cette réflexion, j'exclus d'emblée tous les séjours de moins d'un mois, puisque dans les cas de courts séjours, la différence entre les deux genres de voyage n'est pas vraiment marquée. En effet, pendant un court séjour (10 jours, par exemple), la résidence est un peu l'équivalent d'un des points d'un trajet en déplacement, et le temps de résidence ne produit des effets qu'avec les séjours plus long pendant lesquels le voyageur est réellement installé à un endroit fixe.
Au Vietnam, lors d'un voyage en déplacements, 2008.
Ainsi, parmi mes voyages, mes séjours prolongés en Équateur (Quito, 2004), en Espagne (Séville, 2010) et en Angleterre (Leeds, 2012-2013) sont des cas types de voyages en résidence, alors que mes séjours en Amérique du Sud (2007), en Asie du Sud-Est (2008-2009) ou encore dans les Balkans et en Europe de l'Est (2011) sont de bons exemples de voyage en déplacement.
Il y a des cas hybrides; comme mon séjour au Guatemala en 2009-2010, qui a été caractérisé par une période de résidence (en deux points différents; La Antigua et Xela), accompagnée de quelques longues périodes de déplacements (Honduras, Chiapas).
Enfin, notez que ce classement est plus une affaire de mode de vie sur place (y être installé) que de longueur de séjour (à part pour les très courts séjours, que je ne considère pas ici). Par exemple, j'ai séjourné moins longtemps à La Antigua en 2009-2010 que je n'ai passé de temps à Paris (en 2006 et en 2008), mais contrairement au Guatemala, je n'ai jamais été installé à Paris, j'y étais toujours de passage, parfois pour plusieurs jours, en début ou fin d'un long séjour, mais toujours dans une perspective de séjour en déplacement.

Les avantages des deux style de voyage
Le voyage en déplacement
Admirant Sarajevo, voyage en déplacement, 2011.
L'avantage le plus clair de voyager en se déplaçant en permanence, c'est évidemment l'étendue géographique couverte par le voyage, la diversité des lieux et sites visités et des cultures explorées. Quand on effectue un séjour de près de trois mois qui nous fait traverser une partie de la Hongrie, de la Croatie, la Bosnie, avec des incursions en Italie et en République Tchèque, il y a une importante variété de cultures, d'histoires et d'architecture qui se trouve explorées dans un même séjour.
On ne s'ennuie guère lors de ces séjour, et le voyage procure généralement un important lot d'imprévus et d'improvisation au fil du trajet, pour peu que le voyageur n'ait pas fixé d'avance son itinéraire ou le nombre de jours qu'il passera à un endroit précis.
Il découle de ces improvisations un fort sentiment de liberté. Lors de voyages en déplacements, on décide pratiquement au jour le jour où aller, rester où on est un jour de plus, partir plus tôt que prévu, changer de plans, voir même de région ou de pays. Difficile d'être plus libre que ça et c'est un sentiment extrêmement puissant et agréable. C'est essentiellement la recherche de ce sentiment de liberté qui donne envie de repartir une fois de retour au pays.
Le voyage en résidence
Travaillant, écrivant (ou bloguant? hehe), de ma terrasse
de Xela, lors d'un voyage en résidence au Guatemala, 2009.
L'avantage le plus évident de voyager en ayant un point d'attache, un lieu de résidence semi-permanent, est le temps; le temps de s'immerger dans une culture spécifique, dans le quotidien d'un lieu, d'une région, qui permet de partager la vie telle qu'elle est vécue (en partie) par le peuple d'accueil. Le temps d'y lire les journaux et de suivre l'évolution des nouvelles socio-politiques, d'apprendre à connaître et reconnaître les figures emblématiques du lieu, d'écouter les émissions de télé ou d'assister à d'autres représentations quotidiennes - plutôt qu'épisodique sans contexte - de la culture locale. Ainsi, au lieu d'observer les gens, les manières de faire, les différences culturelles, avec un regard externe, on peut se permettre de les vivre, de se faire des amis et d'approfondir notre connaissance de la vie à cet endroit précis sur la planète. Un des aspects les plus évidents de cet avantage est évidemment la langue locale; j'ai beaucoup plus approfondi mon espagnol que mon hongrois, mon tchèque ou mon vietnamien au cours des 10 dernières années, et ce n'est pas seulement par intérêts pour cette langue (j'ai aussi de l'intérêt pour le japonais et l'arabe, par exemple), mais surtout parce que j'ai effectué trois de mes quatre séjours en résidence dans des pays hispanophones; c'était donc, pendant des mois, la langue de mon quotidien. On développe alors un sentiment d'appartenance, d'être chez soi (bien qu'ailleurs), qui est fort différent du sentiment de liberté des voyages en déplacement, mais tout aussi agréable et puissant.
À Potosi, Bolivie, avec tout mon bagage (d'un séjour de
quatre mois), me rendant prendre un bus pour un
trajet de 12 heures vers Tarija, voyage en
déplacement, 2007.
S'installer quelque part de manière semi-permanente permet aussi de voyage avec un certain confort et une légèreté que ne permettent pas les déplacements avec backpack répétés jours après jours. Être en résidence dans un lieu permet de s'y installer, de s'approprier l'endroit, le personnaliser, de s'y sentir chez soi. La résidence permet aussi d'explorer une région de manière légère, reposante, en quelque sorte, sans avoir à s'occuper de faire des réservations ou de supporter les longs trajets, puisque les visites se font souvent en une journée ou deux, avec un retour à la maison à chaque fois. L'autre côté de cette médaille est un autre avantage; lors que l'on passe des semaines/mois au même endroit, on peut se permettre d'explorer ou visiter des lieux moins connus (ou inconnu des touristes de passage), des petits villages, que l'on n'aurait pas eu l'occasion ou le temps de visiter lors d'un séjour de quelques jours dans le cadre d'un voyage en déplacement.
Enfin, le voyage en résidence coûte généralement moins cher que le voyage en déplacement (pour une même période et dans un même pays/région). En effet, on y expériment moins de déplacements, mais aussi la nourriture est moins souvent achetée sur le pouce, à cause de l'impossibilité de faire beaucoup de provisions en déplacement, et généralement, on y visite moins de sites, donc paye moins de coûts d'entrée. Enfin, le voyage en résidence permet parfois d'économiser sur le coût d'hébergement également (louer à la semaine ou au mois coûte moins cher qu'à la nuit, même en auberge).

Les inconvénients des deux styles de voyage
Le voyage en déplacement
À Bratislava, Slovaquie, lors de mon second court
séjour, voyage en déplacement, 2011.
Voyager en se déplaçant sur une base quasi quotidienne ne permet évidemment pas d'explorer à fond un lieu, une région, un pays ou une culture, à moins de se limiter exclusivement à ce lieu ou cette culture sur une longue période. Il en ressort une expérience intéressante mais parfois frustrante par son côté superficiel; on se permet un regard sur quelque chose qui mériterait souvent une immersion plus longue pour réellement en profiter au maximum. Je reprends ici l'exemple de la langue, puisque si j'ai beaucoup aimé m'initier au vietnamien et au croate, il est un peu dommage de ne pas avoir pu m'y plonger plus à fond, et perdre presque toutes ces bases au fil des mois passés loin de ces langues par la suite. Mes deux cours passages en Slovaquie, par exemple, ne m'ont pas permis de connaître et comprendre cette culture, à peine m'ont-ils permis d'en avoir un furtif aperçu.
À Madinat Al-Zahra, site archéologique visité seulement
lors de mon second passage à Séville, voyage en
résidence, 2010.
Tel que mentionné ci-haut, le voyage en déplacement offre peut-être une plus grande étendue couverte par le séjour, mais cet avantage a un prix: celui de sacrifier toute explorations de lieux moins importants ou de sites inconnus des circuits, guides, kiosques touristiques habituels. Je n'avais pas, par exemple, eu l'occasion ni le temps de visiter Osuna (près de Séville) ou Madinat Al Zahra  (près de Cordoue) en Andalousie lors de mon voyage en déplacement de 2006, n'ayant passé que 5 jours dans les environs de ces lieux à cette époque.
Les nombreux déplacements sont aussi en eux-mêmes un inconvénient et grugent une partie de ce qui est le plus précieux quand on se déplace beaucoup: le temps. Cet inconvénient couvre à la fois le budget (plus coûteux), les longs trajets et le confort de voyage (un trajet de douze heures de nuit dans un vieux bus sur une route en terre battue est rarement un moment très agréable à vivre), et ces déplacements ajoutent un élément de fatigue physique lors des longs voyages en plus d'ajouter des éléments d'organisation au voyage en question. Par exemple, si vous prévoyez vous déplacer le lendemain de votre arrivée, mieux vaut vous informer aujourd'hui des horaires de trains ou de bus, ce qui enlève de précieuses minutes (parfois heures, hum) à votre journée d'exploration.
Le voyage en résidence
Le principal défaut d'un voyage en résidence tient d'un paradoxe; en s'installant à quelque part pour en faire son chez soi, on perd le sentiment d'être en voyage, malgré le fait de se retrouver à des milliers de kilomètres de son pays, et de se retrouver plus souvent qu'autrement dans une culture complètement différente.
Ceci a une importance majeure, parce que sans ce sentiment d'être en voyage, la routine du quotidien prends souvent le dessus sur celle du voyage, ce qui résulte généralement en un voyage où l'on visite moins de villes, moins de lieux et de sites, malgré le temps passé sur place, et malgré les opportunités. Mon plus récent séjour, à Leeds, est un bon exemple de ce facteur. Je suis loin d'avoir exploré l'ensemble du centre de l'Angleterre, je n'ai même pas exploré tout le Yorkshire, souvent pris dans ma routine de vie, mon travail et mes habitudes, une fois installé en résidence. J'avais expérimenté le même effet lors de ma résidence à Séville.
À Belem, Lisbonne, au Portugal, visité dans le cadre du
même voyage en déplacement qui m'a vu ignorer Madinat
Al-Zahra, 2006.
Ce dernier séjour me fournit d'ailleurs un bon exemple des différences majeurs entre les deux types de voyage, car lors de ce séjour de 2 mois en Andalousie, je ne me suis pas éloigné jusqu'à joindre Madrid ou Barcelone, par exemple, alors que pendant mon voyage en déplacement en France, en Espagne et au Portugal, également d'une durée de 2 mois, j'avais fait une boucle débutant et se terminant à Paris, en passant par Barcelone, Madrid, Lisbonne... et Séville, entre autres villes visitées.
Le second inconvénient majeur du voyage en résidence découle de son concept même; le lieu de résidence comme encrage devient aussi un lieu d'attache et tout ce qui en est éloigné devient moins accessible que lors d'un voyage en déplacement. Faire trois trajets de huit heures de transport en une semaine lors d'un voyage en déplacement permet de couvrir beaucoup de distance, et donc d'atteindre des lieux plus éloignées les uns des autres qu'avec une résidence d'où on voyage en rayonnement.
Edimbourg, le point le plus éloigné de Leeds que j'ai
visité pendant mon séjour en résidence, 2012.
Mon trajet en Amérique du Sud en 2007 m'a par exemple permis de traverser littéralement l'Équateur, le Pérou, la Bolivie et la moitié de l'Argentine et du Chili du nord au sud, en plus du Pérou, de l'Argentine et du Chili d'est en ouest. Je n'aurais jamais pu couvrir autant de territoire au cours de ces quatre mois si j'avais été installé en un point fixe, même central. Par opposition, si mon séjour en résidence à Leeds m'a permis d'explorer à fond la culture anglaise, la ville, son architecture et son histoire, en plus de me donner l'opportunité de visiter des villes et sites au Yorkshire et dans quelques autres lieux (Londres, Edimbourg), je ne me suis pas rendu à Dublin, Glasgow, Stratford-Upon-Avon ou au Pays de Galles lors de ce séjour, lieux qui auraient fort probablement été sur un itinéraire de voyage en déplacements au Royaume-Uni.

Quel est donc le voyage idéal?
Suite à ces réflexions, on peut donc se demander lequel des deux types de voyage est idéal... ce qui sera le sujet d'un prochain billet.
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