mercredi 31 décembre 2014

Au revoir 2014; mes souhaits pour 2015

Voici une autre année qui s'achève, une très bonne année en ce qui me concerne.
Pour moi, l'année 2014 a débuté avec la publication de mon journal de vacances à Cuba, terminées à peine quelques heures avant le début de l'année.
Puis, c'est en Équateur que je me suis rendu, pour plusieurs semaines, afin d'entamer une réflexion sur mon premier projet de coopération, qui avait eu lieu dans ce pays dix ans plus tôt.
L'Équateur m'aura permis - 7 ans après mon dernier séjour sur ses terres - de revoir Quito, mais surtout mes amis Evelyn et Leandro, et Nely, puis les enfants de Lloa (mes anciens élèves devenus grands et les nouveaux enfants de l'école) et enfin, vivre à nouveau avec ma famille équatorienne, les Mueses.
Mes voyages de 2014 m'ont aussi permis de voir les vestiges de l'une des ancienne merveille du monde antique (le Temple d'Artemis) et de visiter deux des plus complexes sites de l'époque romaine (Ephèse et Pompéi). Ne serait-ce que pour ça, 2014 serait déjà une année exceptionnelle.
Mais ces voyages m'ont également donné l'opportunité de passer du temps de qualité avec mes parents pendant nos trois semaines en Italie, trois semaines au cours desquelles j'ai appris à mieux connaître mon père (même si j'ai été un peu dur avec lui en cours de route et sur ce blogue), et je crois que ce séjour nous aura permis de nous rapprocher encore. Quelle agréable aventure ça a été.
Aventure qui s'est terminée en Turquie, alors que j'avais le plaisir d'y rejoindre Suze et Istvan, mes deux complices de toujours. Si j'émettais un souhait pour 2015 ça serait bien de voyager encore longtemps avec eux!
De retour au Québec après avoir trimbalé mon sac à dos dans quatre pays du globe répartis sur trois différents continents (pas mal quand même), j'ai profité de l'été pour faire beaucoup de vélo - dont quelques tours sur le circuit Gilles Villeneuve - et j'ai fait des projets d'artisanat avec mon chat :-). Je n'ai pas délaissé la province côté voyage non plus, puisque j'ai débuté son exploration rurale par la visite de quelques petits villages charmants.
Si mon automne a été plus tranquille, il m'a surtout permis de consolider quelques projets littéraires dont vous entendrez certainement parler en 2015 si vous suivez ce blogue.
Enfin, même si elle ne faisait que 750 mots, ma nouvelle au sommaire du plus récent Solaris a fait de 2014 une autre année où j'aurai au moins publié une nouvelle en professionnel, objectif minimal que je réalise depuis quelques années déjà.
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Je termine donc ce survol de cette excellente année qu'a été 2014 pour moi en vous souhaitant une merveilleuse année 2015, remplie de joie et de petits bonheurs, de rencontres et de petits moments qui font l'unicité et souvent la qualité de nos vies.
On ne réalise pas encore vraiment, mais ce 1 janvier 2015 marque un moment où l'année 2030 n'est pas plus éloignée de nous que ne l'est l'année 2000.
Comme je crois que nos vies sont en grande partie ce que nous en faisons, je vous souhaite en quelques sortes de refaire votre monde en 2015, selon vos désirs et intérêts... comme j'ai moi-même décidé de le faire sous forme de loisir de salon pendant les vacances des fêtes - voir photo.
Bonne année 2015 à tous.
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samedi 27 décembre 2014

Pour apprendre et rigoler, ou un PS sur l'austérité.

Après une série de billet plutôt... austère... voici quelques informations complémentaires, et quelques captures d'écran pour rigoler un brin, question de ne pas trop déprimer devant l'ineptie du gouvernement et d'une bonne partie de la population qui le soutient.


D'abord, quelque chose de sérieux, la répartition des revenus du Québec. On remarque deux choses intéressantes parmi plusieurs: la première est la portion des revenus issus des entreprises (3,9%) par rapport aux particuliers (20,5)... une proportion qui est en baisse constante depuis les années 60. Aussi, je note la contribution de 5,0% des entreprises du gouvernement, une contribution importante pour ceux qui dénigrent les entreprises comme la SAQ a été visée récemment, par exemple.


Toujours sérieux, Gérald Fillion indique l'évolution très récente (les 15 dernières années) du taux d'impôt des entreprises au pays.


Un tweet pour détendre l'atmosphère, et qui souligne la facilité de citer des formules (on fait ça pour nos enfants!)


Un rappel toujours utile sur qui est touché ou non par l'austérité à la Couillard.


Une référence au peintre Magritte pour expliquer la rhétorique du Premier Ministre.


Dans la série "Mieux vaut en rire qu'en pleurer".


Enfin, même sentiment ici.
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Pourquoi je ne parlerai pas d'austérité avec les beaux-frères aux partys des fêtes (2)

Note: On devrait lire l'introduction de ce billet, qui trouve son origine il y a plus de deux ans.
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Après avoir survolé les impacts des politiques d'austérité, la question de la dette et celle des finances publiques, je concluais - dans la première partie de ce billet - qu'on était en mesure de questionner la compétence du gouvernement Couillard.
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Un mot sur la compétence en politique.
Quand on parle de réviser les programmes pour qu'ils soient plus efficaces, qu'ils conviennent mieux à notre situation économique ou démographique, personne ne peut être contre.
Quand on improvise les solutions sans se baser sur des faits ou des études, mais qu'on y va à l'idéologie ou à la va-vite, ça démontre une grande incompétence en la matière.
L'exemple des tarifs de garderie est patent. Peut-être faut-il moduler les tarifs de garde en fonction du revenu - même si je ne suis pas pour cette avenue à cette étape de la discussion, ça ne veut pas dire que je ne changerai pas d'idée si on me démontre le bien fondé de cette idée - mais il faudrait donc en discuter, avec des gens spécialisés, étudier la question en regard des faits et des données, comparer ce qui s'est fait et se fait ailleurs avec les impacts de telles mesures, bref, faire son travail avec compétence. Dans ce dossier, la ministre accouche d'un projet de loi en quelques semaines, et avoue quelques jours plus tard n'avoir jamais pensé à l'impact de sa réforme sur l'intégration des femmes au marché du travail.
Les exemples dans les dossiers relevant de l'Éducation sont légion, le ministre Bolduc étant devenu l'image même de l'incompétence en la matière - un rôle fort utile au reste du gouvernement et au premier ministre qui peuvent avoir l'air, par comparaison, moins incompétent.
Dans n'importe quel domaine - le mien comme celui de mon beau-frère - autant d'incompétence que ce qui a été démontré par les ministres du gouvernement Couillard aurait été récompensé par une sérieuse remise en question, voire un renvoi pur et simple. Pas en politique, où on tolère l'incompétence comme nulle part ailleurs, en acceptant souvent stupidement que la démocratie se résume à faire un X aux quatre ans pour les moins pires parmi les incompétents.
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Où s'en va donc le Premier Ministre avec tout ça?
On est en mesure de se demander pourquoi notre Premier Ministre et ses ministres les plus influents refusent de voir les évidences énoncées dans la première partie de ce billet, pour qui veut bien se documenter sérieusement sur ces questions. L'affaire est d'autant plus étonnante de la part de dirigeants au profil scientifique comme le sont nos ministres-médecins. Après tout, selon le chercheur David Stukler, cité auparavant, si on avait appliqué les règles de base de la recherche en médecine aux politiques d'austérité, il y a longtemps qu'on les aurait abandonné, tellement leurs effets secondaires néfastes sont dramatiques.
Pourquoi donc?
À cause d'une des choses les plus dangereuse chez un dirigeant: une idéologie qui lui tient lieu de Bible. Notre Premier Ministre et ses ministres les plus influents préfèrent jouer le présent et l'avenir du Québec et des québécois sur une idéologie politique plutôt que des faits, des études et des données.
Antoine Robitaille rapporte que pour Philippe Couillard, l'inspiration suprême lui vient d'un livre écrit par deux économistes anglais d'extrême droite (qui considèrent que les réformes Thatcher n'étaient qu'une demi-révolution et auraient dû aller bien plus loin!). En fait, loin de voir la révolution culturelle Reagan-Thatcher comme un échec (la crise boursière et la crise économique de 2008+ découle directement des dérèglementation et réduction de l'état issus de cette époque), ils trouvent qu'elle n'a été qu'un demi-succès et invitent donc le monde à aller plus loin dans cette direction.
Mathieu Bock-Côté commente cette source d'inspiration du Premier Ministre. Dans un billet clair et concis compte-tenu du sujet, le sociologue explique que «Dans l’imaginaire thatchérien, il y a un grand soir: c’est celui où les forces attachées à l’État providence s’effondrent enfin et où le nouveau modèle de société fondé sur le primat du marché peut enfin s’installer en paix».
Voilà où va notre gouvernement; déconstruire le modèle sur lequel le Québec s'est créé, politiquement et économiquement, pour le remplacer par le modèle que l'on vénère, sans l'avouer franchement, et sans l'avoir annoncé en campagne électorale. (Ce lien détaille quelques écarts entre la "réalité-Couillard" et la "fiction-électorale" présentée en campagne.Voilà un bon argument contre les tenants de la démocratie réduite à un X aux 4 ans).
L'historien et politicologue Jean-François Nadeau commente également cette idéologie de laquelle se réclame le Premier Ministre avec une remarque qui donne froid dans le dos: «Il a fallu onze ans à Thatcher pour conduire sa contre-révolution et asseoir une domination néolibérale qui a fait école. Au Québec, le ministre des Finances, Carlos Leitão, affirme qu’en deux ans il aura atteint les objectifs qu’ils s’étaient fixés».
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Un mot sur le respect de la fonction de chef d'État.
Lors des dernières élection - notre occasion aux quatre ans d'exercer la démocratie selon plusieurs - le Parti Libéral n'a que peu parlé de son programme, se contentant d'accuser les péquistes de secrètement vouloir faire un référendum sur la souveraineté du Québec et d'ainsi créer de l'incertitude, une horreur qui allait plomber l'économie du Québec pour des années. On nous promettait alors l'effet Libéral qui, en éliminant cette incertitude, allait créer 250 000 emplois. Le reste du programme Libéral est à peu près passé sous silence (mais il est intéressant de noter qu'il prévoyait annuler la hausse des tarifs de garderie planifiée par le PQ à 9$ sur deux ans) et plutôt indexer ces tarifs. On nous promettait aussi de ne pas hausser les taxes ni les impôts, et de stimuler l'économie et de créer des centaines de milliers d'emploi (ce lien, déjà évoqué, fait un survol de ces promesses comparées à la réalité).
Fraîchement arrivés au pouvoir, le gouvernement Couillard s'est aussi empressé de dénoncer le trou secret laissé dans les finances publiques par le gouvernement précédent, un trou de 5,8 milliards selon eux. Or ce déficit de 5,8 milliard n'existe pas, il est totalement fictif, un grossier mensonge utilisé pour manipuler l'opinion publique. Le déficit prévu par le PQ avant les élections est, à quelques détails près, exactement le même que celui prévu par le PLQ lors de sa dernière mise à jour économique! L'économiste Gérald Fillion le rappelle en comparant l'ensemble des données; «Entre les projections du Parti québécois en février et celles du Parti libéral en ce moment, il y a quelques différences, mais elles ne sont pas énormes. Au final, le déficit prévu par le PQ en 2013-2014 est plus important de 300 millions de dollars, ce qui est une goutte d’eau dans un budget de 100 milliards».
Après les mensonges en campagne électorale, ceux sur le déficit réel du Québec et enfin, ceux sur la nécessité des politiques d'austérité (qu'il appelle rigueur budgétaire dans un spin médiatique pour utiliser des mots moins... austères dès qu'il réalise l'impopularité du terme "austérité"), il est difficile de croire que Philippe Couillard a lui-même le respect requis envers la fonction de chef d'état.
J'aurai moi-même plus de respect pour la fonction de chef d'État quand celui qui l'occupe en aura et cessera de me mentir en plein visage sans même tenter de cacher son mensonge.
Mon beau-frère a raison quand il dit qu'on doit avoir du respect pour la fonction de chef d'État, je trouve dommage que le Québec semble incapable de voter et se doter de politiciens qui soient dignes de cette fonction et qui ne la respectent pas eux-mêmes.
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Conclusion - Terre plate / Terre ronde.
L'immense somme de connaissances économiques sur les effets néfastes des politiques d'austérité, l'importance réelle et le rôle de la dette et des finances publiques - dont je n'ai fait qu'effleurer les points majeurs ici - devrait écraser totalement toute tentative de défendre les politiques actuelles du gouvernement, point.
Pour moi, c'est un peu comme si le gouvernement Couillard tentait de nous faire croire que la Terre est plate, immobile et au centre de l'univers et qu'il faut donc adopter des politiques de navigation maritime et spatiale en conséquence, alors que toute la science nous prouve qu'elle est ronde et qu'elle tourne plutôt autour du soleil *.
Or, la Terre est ronde, docteur Couillard... et elle tourne, oserais-je vous rappeler.
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(*) Cet élément de réflexion sur les scientifiques m'avait frappé en 2012 - en plein conflit étudiant - alors que je discutais justement avec un chimiste diplômé qui, malheureusement, semblait se refuser à appuyer ses opinions sur des faits et données solides, et se contentait alors de répéter les lieux communs et utiliser les raccourcis intellectuels issus de la propagande du gouvernement Charest. Une triste constatation en général, mais qui était particulièrement décourageante venant d'un scientifique.

Pourquoi je ne parlerai pas d'austérité avec les beaux-frères aux partys des fêtes (1)

Note: On devrait lire l'introduction de ce billet, qui trouve son origine il y a plus de deux ans.
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Un mot sur l'austérité.
Il existe des centaines (voire des milliers) d'articles sur le sujet de l'austérité (approche dérivée de l'idéologie politique néolibérale), et des centaines de livres, études et collectifs d'essais de vulgarisation scientifique, je n'ai donc pas la prétention de pouvoir couvrir ce vaste sujet dans un billet de blogue. Par contre, je peux attirer l'attention sur quelques éléments importants, et fournir un première série de pistes de lecture sur le sujet de l'austérité, d'où elle vient, de l'idéologie qui la défend, et de ses impacts sur les pays et les populations qu'elle touche.
Il est très facile de savoir ce qui se passe quand un État applique des politiques d'austérité. Oui, c'est facile, car le Québec est loin d'être le premier à le faire, la pratique existe un peu partout dans le monde, et a été largement utilisée et documentée depuis le début des années 1980. Il suffit donc de voir ce qu'ont données ces politiques pour comprendre ce qui se passera ici si on les applique.
L'austérité (ou rigueur budgétaire, ou ajustements structurels, selon les modes et époques) était une des conditions essentielles de l'aide accordée à des dizaines de pays par le Fonds Monétaire International pendant une période de 30 ans (1980-2010), période et pays sur lesquels il existe aujourd'hui de nombreuses études sur les impacts et résultats de ces politiques. En 2011, lors d'une période de réflexion politique et économique sur ce blogue, j'avais parlé d'un véritable «Laboratoire FMI» et je vous invite donc à lire/relire ce billet pour plus de détails. Plus particulièrement, j'attire votre attention sur la section "Observations sur le "laboratoire" FMI" ainsi que les notes en fin de billet. Plus important encore, lisez quelques-uns de la douzaine d'articles scientifiques que je cite en bibliographie à la fin du billet. ces lectures semblent un minimum pour qui veut comprendre réellement, au lieu de demeurer un ignorant avec des opinions toutes faites.
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Aujourd'hui, l'impact négatif et les effets néfastes de ces politiques sur l'économie et sur les sociétés qui les ont adoptées sont reconnues par tous les scientifiques, incluant les économistes du FMI eux-mêmes. Cette reconnaissance d'une erreur économique qui a duré plus de 30 ans devrait nous alerter de ne pas suivre cette voie, mais il semble que le gouvernement Couillard ne se documente pas et suive bêtement son idéologie. On pourrait croire qu'ils ne sont pas au courant à Québec de ce qui se passe ailleurs dans le monde, mais même Gérald Fillion sur on blogue de Radio-Canada en a parlé... en janvier 2013, soit plus d'un an et demi avant que le gouvernement Couillard n'adopte ces politiques.
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Les politiques d'austérité ont également été la réponse de l'Europe à la crise de 2008 (qui sur le vieux continent, n'est pas encore passée après 6 ans de marasme économique d'ailleurs - voir ce billet-ci où je traitais des raisons pourquoi cette crise nous a moins touchées au Canada et au Québec). Les économistes européens d'aujourd'hui reconnaissent que cette orientation a été catastrophique. Dans un article récent du journal Le Monde, un économiste titre même qu'à cause de ces politiques, l'Europe est au bord du gouffre.
Des exemples de ces effets néfastes?
- Une hausse marquée des suicides en Grèce;
- Une augmentation prononcée de la prostitution en Espagne;
- Un essor marqué du commerce de la drogue en Espagne, en Grèce et au Portugal;
- Un appauvrissement accéléré de toute l’Europe prise dans son ensemble.
Fait particulièrement intéressant, il existe deux contre-exemples issus de la crise de 2008: l'Islande et les États-Unis.
Du côté de l'Islande, plutôt que de sauver la peau des banques avec des fonds publics (donc d'endetter l'État et justifier ensuite des politiques d'austérité), on a poursuivi les fraudeurs (dont certains sont en prison), laissé faire faillite aux banques et spéculateurs et on a investis dans les programmes sociaux pour assurer que les citoyens-déposants ne seraient pas ruinés. Aux États-Unis, on a bel et bien sauvé les banques avec de l'argent public, mais plutôt que de s'attaquer au déficit et à la dette (pourtant faramineuse, voir la section ci-bas), le gouvernement Obama a dépensé et investis massivement en fonds publics pour relancer l'économie.
Dans les deux cas, les résultats sont à l'opposé de ce qui s'est passé dans les pays qui ont adoptés des politiques d'austérité. Dès 2012, le FMI considérait l'Islande comme détenteur de leçons pour les autres états, et plusieurs économistes de partout au monde allaient dans le même sens.
Pour les États-Unis, même si la croissance n'est pas énorme, il y a croissance, accompagnée d'une réduction substantielle du chômage, un état de fait envié par tous les pays d'Europe. Même l'économiste d'extreme-droite Daniel J. Mitchell, toujours opposé aux politiques d'Obama, le reconnaît lui-même: «Je ne suis pas un grand fan de la politique économique d’Obama. Je n’aime pas l’esprit de lutte des classes du Président en matière d’impôts. Je vois d’un mauvais œil ses relances keynésiennes. Et je n’aime pas ses politiques d’étatisation coûteuses telles que l’Obamacare. C’est pourquoi je me moque souvent de son étatisme compulsif. Ceci étant, je partage totalement son point de vue – quoiqu’avec quelques réserves – selon lequel les États-Unis font globalement bien mieux que les autres pays».
Si on veut se documenter sur une étude des effets réels de politiques d'austérité sur la santé des populations, on peut lire The Body Economic: Why Austerity Kills. Au sujet de ce livre, Josée Blanchette rapportait récemment que «Selon les auteurs David Struckler et Sanjay Basu, deux chercheurs en santé publique, l’un à Oxford, en Angleterre, l’autre à Stanford, en Californie, l’austérité augmenterait l’alcoolisme, le nombre d’épidémies, de dépressions, de suicides».
Récemment, une étude démontre même un lien entre les politiques d'austérité imposées aux pays d'Afrique par le FMI, la destruction de leur système de santé publique et l'incapacité de ces systèmes à pouvoir faire face à la récente épidémie d'Ébola. Rappelons que cette épidémie a déjà fait plus de 7500 morts. Cet exemple illustre bien que parfois, les effets néfastes de ces politiques n'apparaissent qu'à long terme dans une société.
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Un mot sur la dette du Québec.
L'argument principal pour instaurer les mesures d'austérité, c'est l'importance de la dette du Québec. On est endetté, il faut laisser moins de dettes à «nos enfants/les générations futures», on est presque comme la Grèce, etc.
Il y a trois choses à dire sur la dette (sur toute dette, en fait, même de l'hypothèque sur votre maison). La première, c'est qu'il n'est pas très grave d'avoir une dette quand on a des actifs, bref, d'emprunter pour investir comme le font tous les gens d'affaires et entrepreneurs. La dette totale est un chiffre qui ne veut rien dire si on ne tient pas compte des actifs (comme la valeur d'Hydro-Québec, par exemple, pour ne nommer que le plus évident que d'autres provinces/états n'ont pas).
La seconde, c'est que peu importe la dette, c'est le niveau d'endettement sur votre capacité de payer qui compte, pour voir si vous êtes dans le trouble ou non. Pour les états, on utilise souvent l'indice de la dette sur le PIB pour mesurer et comparer les dettes des pays et états.
Selon le dernier rapport de l'OCDE sur la question (graphique tiré de l'étude "L'État de la dette du Québec 2014"), le Québec (avec ou sans sa portion de dette fédérale) est en meilleure posture à ce niveau que les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne, le Japon, les Pays-Bas ou la moyenne des pays de l'OCDE. Il faut aller du côté du Danemark, la Suisse ou la Norvège (par exemple) pour trouver des états mieux placés que le Québec en ce qui concerne leur niveau d'endettement par rapport à leur capacité de payer (À ce sujet, la dette sur PIB des États-Unis est le double de celle du Québec).



La troisième chose à dire sur la dette du Québec - et c'est ici qu'est illustrée l'importance de la différence entre un État, une entreprise et un individu - c'est que la dette du Québec, émise sous forme d'obligation d'épargne du Québec, est détenue à titre de placements par divers investisseurs, qui font un revenu d'intérêt intéressant sur un placement sans grand risque. Or dans le cas du Québec, on estime que la dette est contrôlée à 29% par le Gouvernement du Québec lui-même ou ses organismes apparentés (comme la Caisse de dépôt et de placement par exemple). On estime en outre à 56% la dette détenue par des intérêts québécois ou canadiens. Autrement dit, non seulement cette dette est entre bonne main, mais elle assure un certain rendement sur les régimes de retraite et autres outils qui sont utiles à maintenir l'économie du Québec. En effet, on estime à seulement 15% la dette probablement détenue hors-Canada (Sources en page 18 du fichier de l'étude en PDF).
En fait, si on veut aller plus loin, on peut lire cet article du professeur de l'UQAM et directeur de recherche Éric Pineault qui souligne que cette saine détention de notre dette ne devrait pas nous pousser à vouloir la rembourser, au contraire!
«Rembourser la dette signifie assoiffer nos régimes de retraite, priver les individus et collectivités de la chance de détenir une partie de leurs épargnes sous la forme d'un investissement dans notre richesse collective. Nous validons le service de la dette [Note de l'EV: les intérêts sur la dette] de la même manière que nous validons les autres dépenses publiques, par le biais de la capture de revenus par l'impôt et les taxes, lesquelles croissent à la même vitesse que l'économie. Donc, finalement, tant que l'économie croit plus rapidement que la dette et le service de la dette, il n'y aucune raison de paniquer. Il ne faut surtout pas rembourser la dette; mieux vaut la refinancer, et ce, pour toujours.»
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Pour comprendre l'enjeu de la dette et cesser de rapporter les inepties qu'on entend souvent de la bouche d'élus ou de commentateurs de droite, lire cette étude de l'IRIS sur les pièges courants et les raccourcis intellectuels à éviter quand on parle de la dette. Vous allez rapidement comprendre que le gouvernement actuel utilise le montant de la dette du Québec pour vous faire peur, sans jamais la mettre en contexte. C'est le proverbial chien qu'on veut tuer et qu'on accuse donc (faussement) d'abord d'avoir la rage.
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Un mot sur les finances publiques.
Afin de justifier les politiques d'austérité, on mentionne également l'état des finances publiques. Si on veut réduire la dette, il faudrait la rembourser, donc faire des surplus, alors qu'actuellement, on réalise des déficits. Il faut donc revenir à l'équilibre budgétaire, au minimum, et au plus vite peu importe les conséquences.
Et la méthode préconisée est évidemment la réduction des dépenses.
Il existe deux volets à tous budgets: les dépenses, certes, mais aussi les revenus. Or le gouvernement Libéral des 12 dernières années (Charest comme Couillard) s'est volontairement privé et se prive encore volontairement de revenus importants.
Rappelons qu'avant l'ère Charest, le Québec faisait des surplus, mais que le gouvernement Charest a éliminé ces surplus et créé un déficit par manque de vision et par soucis électoraliste en réduisant les impôts sans aucun plan d'avenir, privant l'état de revenus importants.
De même, on peut citer la disparition de la taxe sur le capital des banques et grandes entreprises, qui rapportait à l'état québécois 600 millions de $ chaque année. L'économiste Jacques Parizeau rappelle d'ailleurs que « pour les banques, ça ne crée pas une job. Tout ce que ça fait, c’est transférer de l’argent des contribuables aux actionnaires ».
Doit-on rappeler que les banques canadiennes à elles-seules ont réalisées un profit net après impôts de plus de 30 milliards de dollars en 2014? On s'explique mal en quoi ces entreprises parmi les plus profitables au monde avaient besoin de ce cadeau fiscal de la part du Québec si les finances publiques sont dans un aussi mauvais état. Surtout que celles-ci ne crées pas de nouveaux emplois ou investissements avec ces profits, mais les redistribuent simplement à leurs actionnaires. Un exemple parmi les autres, la Scotia qui coupe 1500 postes malgré des profits en hausse de 14%.
Le même raisonnement s'applique aux redevances minières, à l'absence de redevances sur le pétrole qui circule sur nos voies ferrées ou dans nos sols via pipeline et à bien d'autres revenus que l'état refuse de recevoir par idéologie et copinage avec la grande entreprise.
Et on ne parle même pas d'évasion fiscale, un dossier qui ne peut se régler que par des lois fiscales mieux adaptées au monde d'aujourd'hui, donc qui ne peut que se régler par une volonté du gouvernement de le régler. Doit-on s'étonner que le gouvernement Couillard ne parle jamais de ça? Évidemment pas, puisque le Premier Ministre lui-même a utilisé le stratagème pour éviter de payer de l'impôt au Québec.
C'est non seulement le même chien qu'on accuse d'avoir la rage, mais on oublie de mentionner qu'on évite à tout prix de le faire vacciner.
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Enfin, si on admettait qu'il faille absolument couper dans les dépenses de l'état, alors on s'attendrait à ce que ce genre d'exercice soit fait avec honnêteté et que les décisions soient basées sur des études afin de minimiser les impacts néfastes de ces coupes. Or d'une part, on coupe à plusieurs endroits touchant directement le niveau de vie de dizaines de milliers de québécois de la classe moyenne mais on évite de couper chez les très hauts fonctionnaires, les députés ou encore dans les contrats confiés à des consultants privés amis du parti au pouvoir.
On ne coupe pas non plus dans les généreux incitatifs offerts gracieusement aux grandes entreprises (voir le point 2 de ce billet-ci), même si parfois, celles-ci profitent en plus de créativité fiscale pour éviter de payer des impôts ici.
Le dossier des retraites est un bon exemple; alors que l'on force par une loi un changement de financement dans les retraites des employés du système public, on ne touche pas le régime le plus généreux qui existe au Québec, celui des députés eux-mêmes. On repassera pour l'honnêteté du procédé et la justice de l'opération.
L'automne 2014 regorge d'exemples - par centaines - de coupes improvisées et de gaspillage éhonté qui seraient facilement évitées si l'exécutif du gouvernement lui-même se gérait en montrant l'exemple. On dit ne pas avoir le choix de couper les dépenses, mais on engage en double tout un tas de hauts fonctionnaires pour des raisons d'appartenance politique et d'experts du privé qui touchent pourtant déjà de généreuses prestations de l'état (voir par exemple les salaires de quatre employés de la commission de révision des programmes, mandatés pour aller gruger ce qui nous manque, mais payés à eux-seuls plus d'un million de dollars). Et c'est sans parler de la prime de plus de 200 000$ du bon docteur Bolduc, ni de celle de plus d'un million de dollars au départ du bon docteur Barrette (on me dira que cette dernière a été payée à même les cotisation des médecins spécialistes, mais c'est oublier que ces cotisations sont déductibles d'impôts, et donc, ont fait économiser aux médecins spécialistes 50% de ces sommes sur le dos de l'État québécois). Un dernier exemple tiré des jours précédant la publication de ce billet: on apprend la coupe 160 000$ dans un programme alloué aux études québécoises à l'étranger (un programme qui permet de faire briller le Québec et engendre des retombées importantes à moyen et long terme) mais on permet à un simple député nouvellement élu de s'aménager de jolis bureaux au coût de 228 000$. Ce montant est quasi indécent, dépassant le coût moyen d'une maison au Québec, mais le député persiste et signe en mentionnant qu'il a même fait baisser la facture!
Autre exemple frappant: le dossier de la politique sur les médicaments, où des économies potentielles de 3,3 milliards ne sont même pas étudiées par le gouvernement, malgré des appels de certains députés d'opposition à le faire.
Enfin, cerise sur le sundae de la mauvaise gestion des finances publiques, on vient de remarquer que le retour des Libéraux au pouvoir s'est accompagné du retour des extras coûteux sur les contrats publics en construction...
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Après ces constatations sur l'impact de mesures d'austérité, du faux débat sur la dette et des mauvaises approches pour assainir les finances publiques, on est en mesure de questionner la compétence du gouvernement Couillard et de se demander pourquoi il a pris cette direction.
Ces questions seront brièvement abordées dans la seconde partie de ce billet.
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Pourquoi je ne parlerai pas d'austérité avec les beaux-frères aux partys des fêtes - Justification

Permettez-moi un retour en arrière, le temps d'une introduction à un billet, qui sera ensuite présenté en deux parties (Partie 1 ici et partie 2 ici).
L'affaire se passe en 2012, en plein conflit étudiant. J'assiste alors à un party de famille, pour la fête de ma filleule je crois, à qui j'ai offert des cadeaux dont le chou est remplacé par un carré rouge. Je sais que la règle d'or au Québec est de ne pas parler politique en famille, mais je ne planifie pas d'en parler, justement, mais je ne peux nier ce que je suis, et ce pour quoi je me bât dans mes écrits comme quand je marche dans la rue avec les étudiants et autres citoyens qui refusent le projet de société néolibéral du gouvernement Charest. Nous avons donc (un peu) discuté, mes parents, mes soeurs, mes beaux-frères, ma conjointe et moi, de politique québécoise. Je ne reviendrai pas sur les détails de la discussion ici, ce ne sont pas ces détails qui sont importants, ni les opinions des uns et des autres, mais je citerai les trois éléments qui forment le point de départ d'un billet promis depuis deux ans à un de mes beaux-frères.
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Le premier de ces éléments, c'est l'incapacité de mes proches de prendre ma conjointe ou moi au sérieux - je veux dire professionnellement - quand nous abordons les questions de politiques publiques. Pourtant, ma conjointe est diplômée en Études internationales (option sciences politiques) en plus de l'être en administration. Elle a également fait une partie de ses études internationales en Angleterre. Pour ma part, je suis comptable professionnel de formation, diplômé HEC, avec un tronc commun qui incluait l'économie et je me suis, au fil des ans, spécialisé en fiscalité, donc sur certains effets et sur les applications des politiques publiques sur les individus et entreprises.
Ce qui m'étonne encore quand je repense à cette discussion, c'est la non reconnaissance d'une certaine expertise (ou au moins d'une meilleure connaissance du sujet) par mes proches. Pourtant, quand on parle de génie chimique, d'informatique en réseau, de finance agricole, d'enseignement ou de physique mécanique, personne n'irait contester l'expertise de mes proches dans leur domaine respectif, ou ne pas reconnaître au minimum qu'ils savent un peu (plus que les autres) de quoi ils parlent. On parle pourtant de gens éduqués - majoritairement des diplômés universitaires d'ailleurs - et de plusieurs scientifiques. Évidemment, personne n'agit ainsi par mauvaise foi, c'est juste l'habitude issue de certaines couvertures médiatiques des politiques publiques, qui favorise souvent les raccourcis intellectuels, qui est en cause et fait croire à tous que les solutions sont simples. L'idée que l'État se gère comme un budget familial, ou qu'il se gère comme une entreprise privée relève de ce genre de lieu commun réducteur qui est devenu accepté par tous à force d'être répété comme un mantra.
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Le second élément concerne un beau-frère en particulier, qui avait eu l'opportunité (par hasard) de croiser des ministres du gouvernement, dont Raymond Bachand, qui défendait à l'époque la hausse des frais de scolarité comme une "révolution culturelle" au Québec (révolution qui se poursuit aujourd'hui sous l'actuel gouvernement Couillard). J'avais soulevé un sourcil et mentionné que je ne sais pas si j'aurai été jusqu'à serrer la main du Ministre des Finances, puisqu'il était intellectuellement malhonnête dans le dossier des frais de scolarité, et que même si moi, j'étais contre cette hausse, j'aurais aimé qu'il y ait réel débat de société sur la question - un débat honnête - alors que le gouvernement se contentait de diaboliser ceux qui souhaitaient ce débat au lieu d'expliquer leur position et de la défendre honnêtement.
Mon beau-frère nous a expliqué qu'il ne partageait pas nécessairement les opinions du ministre (ni du gouvernement), mais qu'il respectait la fonction. C'est un argument fort louable, mais je n'ai pas pu m'empêcher alors de mentionner que je ne pourrais serrer la main de Jean Charest ou Stephen Harper, tellement ils étaient eux-mêmes cyniques et n'avaient plus de respect pour cette fonction et pour le système parlementaire en général. La discussion qui a suivi a été particulièrement animée, puisque je passais alors pour celui qui n'avait pas de respects pour la fonction et les élus, alors que je dénonçais au contraire que c'était les gens en poste et non moi, qui étaient cyniques et favorisaient le développement du cynisme et du désengagement politique.
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Enfin, le troisième élément est apparu vers la fin de cette discussion politique, alors que je tentais de faire valoir les dizaines (plusieurs dizaines en fait) de textes scientifiques qui existent pour démontrer que les politiques néolibérales sont néfastes, partout où elles ont été appliquées dans le monde. Mon beau-frère m'a invité à lui transmettre ce genre d'articles ou de livres, de lui suggérer des lectures sur le sujet. Après quelques années à lire sur le sujet, je me suis promis de le faire, mais j'ai rapidement réalisé l'ampleur d'une telle tâche et l'étendue qu'aurait ma liste. Je me suis aussi dit que mon beau-frère avait peut-être un peu de temps libre pour lire quelques trucs, mais il ne s'embarquerait certainement pas dans la lecture de 9-10 briques de collectifs ou les centaines d'articles scientifiques de 20-30 pages chaque, souvent en anglais en plus, que je pourrais colliger. J'ai donc laissé tombé et n'ai plus reparlé politique pendant les partys de famille.
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Rassurez-vous, je ne ferai pas cet exercice ici, mais depuis 2012, il s'est écoulé de l'eau sous les ponts (même si ceux-ci menacent parfois de s'écrouler), et nous sommes en période de partys des fêtes en famille, et le mot qui est sur toutes les lèvres semble être «Austérité». je vais donc articuler ce billet en deux parties sur l'austérité autour de cette discussion et dans le but avoué d'informer mon beau-frère - et tous ceux qui ont la curiosité de d'informer proprement à coeur.
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Dans cet esprit, j'invite donc celui-ci (et vous chers lecteurs) à commencer par lire ce micro-guide de survie au partys de famille si jamais ils parlent d'austérité.
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Puis, de passer aux deux parties principales de ce énième billet socio-politique sur ce blogue.
Joyeuses Fêtes,
L'Esprit Vagabond.
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lundi 3 novembre 2014

Erinnerungsobjekteinfluß et les 40 ans de Solaris

La revue Solaris fête ses 40 ans d'existence. Et pour l'occasion, la revue a invité 40 auteurs à signer une courte nouvelle dans un numéro spécial (le numéro 192 dont on retrouve le sommaire officiel ici).
À l'occasion de ce numéro d'anthologie (littéralement), chaque auteur a été appelé à sélectionner un sous-genre relevant de la SF, du fantastique ou de la fantasy, permettant donc à la revue d'offrir un éventail particulièrement large côté thématiques abordées dans ce numéro unique.
Je me retrouve donc au sommaire - je n'allais pas rater cet anniversaire - et en très prestigieuse compagnie; Esther Rochon, Élisabeth Vonarburg, Alain Bergeron, Daniel Sernine, Joël Champetier et plusieurs autres parmi les meilleurs auteurs de genre au Québec. C'est tout un honneur pour moi car c'est certainement la publication où je partage le sommaire avec le plus grand nombre d'écrivains que j'admire autant.
Pour ma modeste participation - les nouvelles ne devaient pas dépasser 750 mots - j'ai choisi le sous-genre fantastique des objets maléfiques et je signe donc une nouvelle intitulée Erinnerungsobjekteinfluß.
Par un amusant tour du hasard, cette histoire (peut-être ma plus courte nouvelle publiée) est celle qui doit avoir le titre en un mot le plus long de mes publications.
Plutôt que de vous laisser tenter de trouver la traduction de ce terme, d'origine allemande (puisque la nouvelle se déroule à Berlin), je vous en offre un extrait:
«Certains parlent de magnétisme, de géobiologie, de psychométrie, d’autres d’ondes rémanentes ou d’empreinte énergétique, sans offrir d’explications convaincantes sur le sujet. Pourtant, mes clients payent des sommes considérables pour acquérir ces objets.»
Je vous invite donc à lire le reste dans Solaris 192, et vous pourrez en prime mettre la main sur 39 autres histoires!
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samedi 1 novembre 2014

L'héritage français, Sankara, Blaise et le Burkina aujourd'hui

Même si je n'y ai jamais mis les pieds, je m'intéresse toujours au Burkina Faso. Mon amie Suze y avait effectué en stage de coopération internationale en 2010, stage dont j'avais suivi les déroulements via son témoignage ainsi que celui de plusieurs de ses collaboratrices (et collaborateur) à cette époque.
Ce n'est donc pas une surprise pour qui suit ce blogue depuis un certain nombre d'années de constater que les événements actuels au Burkina m'interpèlent particulièrement. Et même si on ne connait rien du futur du Burkina Faso, pour ma part, je me réjouis de la fin du règne de Blaise Compaoré.

En 1991, Blaise Compaoré a été élu président du Burkina Faso lors de la première élection tenue après un référendum sur une nouvelle constitution. Il a alors dit que cette élection marquait le début de l'état de droit et de la stabilité politique du Burkina, que son pays venait de prouver qu'il avait opéré des changements significatifs pour son développement politique et économique.
Toutefois, il faut mentionner que cette élection a été boycottée par les partis d'opposition et que le taux de participation a été de 25,3%, en plus du fait que Blaise, jusqu'à il y a quelques jours, était toujours au pouvoir plus de 27 ans plus tard. En effet, il a été réélu en 1998, puis, après amendement à la constitution, rééelu en 2005 et en 2010. Il voulait cette année amender à nouveau la constitution pour se représenter aux élections présidentielles.
Pour la stabilité politique, Blaise avait donc raison en 1991, mais peut-on parler de développement politique et économique quand le même homme reste au pouvoir aussi longtemps et que malgré les milliards d'aide internationale, la très grande majorité des citoyens du pays demeurent très pauvres alors que l'élite est encore aussi riche?
Blaise, les médias le rappellent ces jours-ci, a pris le pouvoir lors d'un coup d'état (un putsch en fait), alors que le pays était gouverné par le Conseil National Révolutionnaire dirigé par Thomas Sankara. Avant le coup qui l'a porté au pouvoir, Blaise était le numéro 2 de ce régime issu de la révolution burkinabè.

Thomas Sankara avait pris le pouvoir en août 1983, avec le support des jeunes, des syndicats et de l'armée. L'idée derrière la révolution était de bâtir une meilleure société, avec une meilleure justice sociale et se séparant définitivement de l'héritage colonial français. Sankara était un homme éduqué, avec des idéaux de gauche, et désirait apporter des changements profonds dans la politique du Burkina (on doit d'ailleurs à son gouvernement le nom du pays). On parle ici de réforme agraire, de loi pour promouvoir l'égalité des genres, bref, de politiques progressistes.
Mais quatre ans après son arrivée au pouvoir et le début des changements qu'il avait proposé, Blaise a mené un coup contre son compagnon, un coup qui allait le mener au pouvoir, et voir Sankara assassiné au passage. Ce dernier, par ses réformes sociales au profit du plus grand nombre, s'était aliéné les intérêts français et la riche élite politique et économique du Burkina. Ceux-ci se sont rapidement rangés derrière Blaise Compaoré.
Compaoré a eu beau clamer poursuivre les idéaux révolutionnaires, personne n'a été dupe; ses politiques ont largement été influencées par les intérêts qui étaient au pouvoir avant la révolution de Sankara, et n'ont jamais cessé de s'aligner sur les modèles néolibéraux promus par le FMI et les intérêts occidentaux par la suite; privatisation et libéralisation de l'économie en tête de politiques à l'opposé des idéaux socio-économiques défendues par Sankara.

Blaise a donc pu profiter de l'appui tacite des pays occidentaux, ceux-ci étant très complaisant envers les dictateurs de facto quand ça fait leur affaire (les mêmes pays et institutions ont supporté d'autres leaders du genre tant que ça a fait leur affaire, avant de les condamner au moment opportun; les cas de Ben Ali, Moubarak, et même Khadafi ou Hussein viennent évidemment en tête).
Certes, la dictature politique de Blaise n'était peut-être pas aussi physiquement violente et répressive (quoi que je ne dispose pas d'informations fiables pour l'affirmer avec certitude - le Burkina Faso donnant tous les signes d'un pays pacifique de ce point de vue). Mais son régime n'a fait que lui profiter à lui et ses proches collaborateurs, ainsi qu'aux élites étrangères, sans jamais que les citoyens burkinabè n'aient d'espoir réels de voir leur situation s'améliorer.

C'est pourquoi je ne peux que me réjouir de voir que sa domination du Burkina semble se terminer cette semaine. Et au passage, je salue au moins son geste actuel (en espérant qu'il ne reniera pas par la suite) de ne pas s'accrocher au pouvoir à tout prix comme l'ont fait d'autres avant lui ailleurs dans le monde. Ce geste a le mérite de ne pas inutilement catapulter le pays dans un conflit certain.

Évidemment, l'incertitude qui accompagne de tels changements me fait craindre que d'autres forces et intérêts en présence n'en profitent pour usurper à leur tour le pouvoir, plutôt que ce ne soit les citoyens du Burkina Faso dans leur ensemble qui puissent retrouver le contrôle de leur pays et de leurs institutions. C'est le problème avec ce genre de régime aux apparences trompeuses de stabilité, il n'y a aucun mécanisme qui assure une transition ou une suite organisée et pacifique. De plus, l'exercice de 27 ans de pouvoir absolu a créé des tensions dans une population pauvre et exploitée, et il n'est donc pas anormal que ces tensions aboutissent à des actes violents. Si les gens qui s'emparent du pouvoir de transition ne tiennent pas compte de cet état d'esprit, le pays pourrait éventuellement sombrer dans la violence d'une guerre civile.

Dans un billet sur le contexte politique du Burkina écrit en 2010, je mentionnais: «Aujourd'hui, avec un taux de change fixé (unilatéralement) par la France entre le CFA (monnaie locale des pays d'Afrique de l'ouest, découlant de l'époque coloniale) et l'Euro, avec le Fonds Monétaire International exigeant des politiques de gestion néo-libérales et avec une politique fiscale et un niveau de corruption assurant une totale séparation entre les riches et les pauvres au pays, le Burkina Faso ne semble pas avoir de futur. Mais l'exemple de Sankara demeure, et peut-être qu'un jour, un politicien de la même trempe se lèvera et mènera le pays à sa véritable indépendance».

Reste donc à espérer que les gens qui auront l'opportunité d'exercer le pouvoir au cours des prochaines semaines et prochains mois aient la décence d'orienter le pays dans la bonne direction, et non de faire comme Blaise l'a fait avant eux, c'est-à-dire de profiter de cette opportunité pour s'installer confortablement dans sa chaise et opprimer encore et toujours le peuple burkinabè.

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Note:
La première partie de ce billet est inspirée de l'essai French Colonization and Political Powers in Burkina Faso: 1891-1991, par Suzie Nadeau, que je remercie de son aimable autorisation.
Les photos sont issues de billets précédents publiés en 2010 et ont été prises par Suzie Nadeau.
Autres sources et lectures suggérées:
Brittain, v. 1985. Introduction to Sankara & Burkina Faso. Review of African Political Economy. 32, pp.39-47.
Compaoré, B. 2006. Discours d’ouverture. Xe conférence des ambassadeurs et consuls généraux du Burkina Faso, 19 décembre 2006, Ouagadougou.
Englebert, P. 1996. Burkina Faso: Unsteady statehood in West Africa. Boulder, CO: Westview Press.
Harsch, E. 1998. Burkina Faso in the Winds of Liberalisation. Review of African Political Economy. 25(78), pp.625-641.
Martin, G. 1987. Ideology and Praxis in Thomas Sankara's Populist Revolution of 4 August 1983 in Burkina Faso. A Journal of Opinion, African Studies Association. 15, pp.77-90.
Sankara, t. 1985. The 'Political Orientation' of Burkina Faso. Review of African Political Economy. 32, pp. 48-55.
Wilkins, M. 1989. The Death of Thomas Sankara and the Rectification of the People's Revolution in Burkina Faso. African Affairs. 88(352), pp.375-388.

mercredi 22 octobre 2014

Politique étrangère, attaques... et médias pertinents

Le moins qu'on puisse dire, c'est que les attentats de St-Jean et d'Ottawa vont faire réfléchir des gens sur la sécurité relative dans un pays d'occident qui s'implique directement dans des attaques militaires en pays étrangers (sans être une initiative de l'OTAN ou de l'ONU). C'est toujours ok quand la terreur, les bombes et les attaques individuelles se passent dans un autre pays, on écoute les informations distraitement et on passe à autre chose.
On discutera possiblement de la définition de terrorisme - je suis de ceux qui pensent que l'attentat de St-Jean relevait plus d'un acte criminel alors qu'il semble que celui d'Ottawa remplisse plus les critères d'un acte terroriste (vu la cible plus claire, le Parlement), même si pour le moment, on ne connait ni l'état d'esprit de ceux ayant commis ces actes, ni leurs motifs (bien qu'on puisse faire des conjecture vu leur auto-proclamations religieuses radicales).
[Ajout 23 octobre: Selon les infos disponibles ce matin, on dirait qu'il s'agit du même genre d'acte criminel, qui pour moi ne correspond pas à la définitions de terroriste, même si le criminel en question semble s'inspirer de sa religion pour agir et qu'il a littéralement semé plus de terreur sur son passage. Ceci devrait aussi nous faire réfléchir sur les ressources en santé mentale, puisque dans les deux cas, on parle de problèmes de santé mentale, ce qui reste évidemment à confirmer, mais qui demeure un problème où l'on coupe plus de ressources qu'on en fournit].
Une chose est certaine, les gens vont peut-être réaliser l'impact de cette politique de va-t-en guerre et l'impact la politique étrangère du Canada depuis quelques années (années conservatrices, clairement), tous sujets confondus. Il ne faut pas nous étonner (contrairement à la GRC, voir ci-bas) si certains radicaux locaux passent à l'action. Ça aurait pu arriver avant, c'est ce dossier-ci qui a allumé ces deux-là, ça pourrait aussi arriver dans le futur - toute l'histoire récente de l'approche de lutte au terrorisme à l'américaine nous prouve que ces effets secondaires sont prévisibles... Certains électeurs qui votent sans trop s'informer ou ne se rendent pas compte de ce qui se passe réaliseront peut-être que les gens qui sont élus prennent des décisions qui parfois, ont des répercussions ailleurs dans le monde, et que ces répercussions peuvent trouver écho au Canada par la suite. C'est parfois long avant de voir ce genre de choses arriver, et il est impossible (ou difficile dans la plupart des cas) de pouvoir établir avec précision des relations de cause à effet, mais ça fera peut-être réfléchir un peu plus les gens avant qu'ils ne votent, la prochaine fois.
Il est dommage que peu de journalistes mentionneront que les attaques visent le pouvoir décisionnel et l'armée mais font aussi leur jeu - on ne s'étonnera pas que la réponse des autorités sera certainement d'être encore plus ferme dans les décisions prises; on proposera d'augmenter la sécurité, même si ça réduit les libertés, on profitera peut-être des attaques pour justifier des frappes plus fortes à l'étranger ou le prolongement éventuel de la mission, etc. Il n'y rien de plus facile à manipuler qu'une population sous le choc (une théorie brillamment démontrée par Naomi Klein dans son livre The Shock Doctrine dont j'ai déjà parlé ici).
Sinon, pour l'heure, les médias sérieux tentent de nous informer avec un minimum d'informations révélées par les autorités canadiennes - rien de nouveau - et on apprend l'identité du suspect d'Ottawa via les médias américains... sans trop savoir si oui ou non il avait des complices... Ils arrivent malgré tout à remplir des heures d'information continue, un phénomène qui demeure incroyable en soi.
Les autres médias continuent de faire ce qu'ils font de mieux, c'est-à-dire de l'humour involontaire, en nous fournissant du matériel pour se détendre en rigolant un peu malgré l'aspect tragique de ces attaques. Quelques exemples dénichées en 10 minutes...


City News de Toronto offre une couverture avec bannière mélodramatique digne du Colbert Report ou du Daily Show de Jon Stewart. Tellement gros qu'on dirait une mauvaise blague.


Fox News attribue (à droite) à un "amateur" une vidéo tournée par le caméraman de radio-Canada...


... et se trompe de Parlement et de ville, en illustrant sa nouvelle avec des policiers de la SQ!


Le Journal de Québec fait de l'humour involontaire, entre carnage et Subway...


... mais ce même journal a trouvé le scoop le plus important pour rassurer les gens de Québec.


Quand au Journal de Montréal, il nous offre un pertinent reportage (voir nouvelle de gauche sur la capture d'écan).


Le journaliste Patrick Lagacé souligne sur Twitter la seule information fournie par la GRC en point de presse... information qui demeure un peu étonnante.
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dimanche 19 octobre 2014

Quand la nouvelle devient trop complexe pour les nouvelles, que penser?

Dans l'actualité locale québécoise et canadienne cette semaine, on retrouve la question de l'implication du pays dans la réaction aux actions de l'EI au Moyen-Orient. Personnellement, mon réflexe est de tenter de comprendre suffisamment la situation pour me faire une opinion quand à la participation du Québec et du Canada à la réaction internationale (1).
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Mon intérêt pour le conflit EI/Irak/Kurdes/Syrie découle de deux origines.
La première, c'est que je voyage, et qu'en le faisant en indépendant, je ne retrouve pas dans des enclaves touristiques bien léchées et externes aux villes ou populations locales. Ainsi, règle générale, je me retrouve dans le vrai monde, même si dans ce vrai monde, je visite souvent des lieux ou sites historiques ou d'intérêt touristique. C'est comme ça que j'ai souvent été - sans même le rechercher - témoin de manifestations, d'affrontements légers, ou de mouvements citoyens lors de mes voyages.
Ces voyages ont un autre effet - à part me faire voir le reste du monde tel qu'il est lorsque j'y mets les pieds - ils rapetissent ma planète. Quand on parle d'événements qui touchent directement un pays où je suis allé, la nouvelle m'interpèle personnellement, et pas qu'à un niveau humaniste ou politiquement intéressé, mais à un niveau vraiment personnel, puisque ces lieux font désormais partie de moi, de ma vie, des éléments qui font qui je suis.
La seconde origine vient de centaines de textes de sciences politiques que j'ai eu l'occasion (et le privilège) de lire dans les cinq dernières années, par l'accès aux revues scientifiques sur le sujet dont j'ai pu profiter via les études de ma conjointe. Pour un lecteur intéressé, avoir accès à des milliers de publications donne le vertige, mais procure aussi des lectures approfondies et de qualité supérieure à l'information qui nous est généralement accessible au quotidien.
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Je n'ai jamais mis les pieds en Irak, ni en Syrie, ni même dans la région que l'on pourrait appeler le Kurdistan (pour peu que l'on en reconnaisse l'existence qui chevauche quatre pays). Pourtant, j'ai récemment fait un court séjour en Turquie, où j'ai entre autres exploré le sud-ouest, à gauche sur la carte suivante: (Izmir, Soke, Bodrum et l'île grecque de Kos apparaissent sur la carte). Mon ami et compagnon de voyage Istvan s'est rendu jusqu'à Konya avant que je le rejoigne à Selçuk.


Les combats actuels les plus intenses se déroulent à Kobané (point rouge sur la carte), à la frontière entre la Syrie et la Turquie.
Je me sens donc interpelé par cette proximité à ma planète personnelle (l'univers que j'ai visité), mais aussi par la complexité des enjeux et acteurs du conflit, qui dépassent tout ce que les médias arrivent à nous transmettre. Je ne jette pas la pierre aux médias (et encore moins aux journalistes), c'est leur modèle d'information qui est en cause; il est absolument impossible d'expliquer ce conflit en topos de deux minutes ou en articles de 500 mots.
Si on se limite en plus aux informations en français (ou une seule langue, peu importe laquelle), les dossiers approfondis deviennent plus difficiles à dénicher.
Il est pourtant clair que le laisser-faire international dans la crise/rébellion syrienne a permis l'avènement de cette situation (et sa perte de contrôle), comme l'a fait l'intervention stupide (et ratée) des américains en Irak en 2003 et l'abandon du pays à son sort par la suite. Il semble aussi évident que la situation conflictuelle des kurdes en Turquie ait été sous-estimée et c'est peut-être cette situation qui permet le mieux d'illustrer, comme un microcosme du conflit global, la complexité de ce dernier.
Doit-on aider son ennemi - et même l'armer - pour combattre un pire ennemi commun au risque que notre ennemi se serve ensuite de ces armes contre nous? (2)
Question intéressante et représentative de la complexité de ce conflit.
En effet, le gouvernement turc se retrouve avec un dilemme difficile (voire impossible) à résoudre: Si elle aide à combattre l'EI (la Turquie condamne évidemment les actions de l'EI), elle renforce la position de son "ennemi intérieur" (qui combat la Turquie pour les droits des kurdes de ce pays et prône la création d'un état indépendant kurde). Et on ne parle pas ici de simple débat d'idées, ici, mais bien de combats, de mouvements d'armes, d'implication militaire (ne serait-ce que pour offrir un corridor humanitaire sécurisé).
Je n'ai évidemment pas la prétention de vouloir expliquer cette complexité ici, mais j'ai pour ambition de comprendre suffisamment la situation pour me faire une opinion quand à la participation du Canada à la réaction internationale.
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Si jamais la chose vous intéresse aussi, si vous aimeriez mieux comprendre ce qui se passe et pourquoi il est délicat et difficile de décider si on doit intervenir (et qui doit le faire, et comment), je vous suggère quelques pistes de lecture ici bas. Certains passages aident également à comprendre la responsabilité historique des pays de l'occident dans la situation, qui remonte au partage des restes de l'empire ottoman parmi les puissances coloniales à la fin de la première guerre mondiale.
Et comme on nous parle surtout de terroristes (3) quand on aborde la question des conflits aux Proche-Orient et au Moyen-Orient, il est toujours pertinent de rappeler que les héros des uns sont les terroristes des autres (et vice-versa) alors que la question est nécessairement plus complexe que ça; les échecs des interventions américaines dans leur guerre au terrorisme sont là pour nous le rappeler. L'actuelle situation en Irak vient douloureusement hanter nos voisins amateurs de solutions armées, au moment où ils frappent à notre porte pour les aider et les soutenir. Est-ce une bonne idée de le faire, et de la manière choisie par le gouvernement canadien?
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Notes:
(1) Actuellement, l'engagement du Canada découle d'une motion approuvée par le parlement canadien (majorité du gouvernement Harper qui a aussi imposé le bâillon) le 7 octobre dernier selon laquelle le pays s'engage dans des frappes aériennes (jusqu'à six mois) sans qu'il ne soit question de participer à des opérations terrestres. On apprend par contre que le mandat est plus large et comprend la fourniture d'armes à "des alliés dans le nord de l'Irak" (source: Radio-Canada ).
L'opposition officielle s'est prononcé contre ce plan d'action du gouvernement Harper, que le NPD qualifie d'improvisé et mal défini. L'opposition propose plutôt une réponse humanitaire (source: NPD).
La seconde opposition à Ottawa n'a pas non plus appuyé l'initiative du gouvernement Harper, mais ses propos sont ambigus, et le député Marc Garneau a déclaré qu'une fois la mission débutée, son parti appuierait les soldats canadiens (sources: PLC et deux articles du journal Le Devoir.
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(2) La question se pose pour la Turquie en ce moment, mais la même question s'applique à plusieurs des interventions américaines au Moyen-Orient (voir la guerre Iran-Irak, par exemple).
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(3) Gérard Chaliand rappelle d'ailleurs que «Les succès du terrorisme, à proprement parler, en Occident au cours des années qui ont suivi les attentats du 11 Septembre sont quoi qu’on dise très limités. On est loin des perspectives apocalyptiques annoncées par Oussama Ben Laden il y a une douzaine d’années. Nuisance coûteuse, le terrorisme international reste un phénomène surtout psychologique dont les médias garantissent le retentissement démesuré par rapport à ses effets physiques» (dans "Les jeux de l’échiquier au Proche et Moyen-Orient", NAQD, 2014, 31, p.83-93).
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Références - Médias traditionnels:
Trois articles sur la situation de la Turquie:
La Turquie veut-elle vraiment la paix avec les Kurdes? (France24)
Turquie : "Les Kurdes risquent de se retourner contre nous" (France24)
Pourquoi la Turquie ne vient-elle pas au secours des Kurdes? (Le Devoir)
Syrie:
Même si elle date de 2012, cette carte de l'opposition syrienne (et le court texte qui se retrouve au bas de la page) est intéressante et permet de saisir un peu mieux l'origine et la complexité de cette opposition au régime (Radio-Canada).
Le Kurdistan:
Une page Wikipédia qui résume assez bien l'histoire contemporaine de la région, en plus de détailler les grandes lignes du nationalisme kurde par pays. Ceci permet entre autres de saisir l'origine des kurdes syriens et leurs liens avec les kurdes turcs, en plus de comprendre que l'opposition entres kurdes de Turquie et le gouvernement turc remonte à la création même de la Turquie.

Références - Revues scientifiques:
Nationalisme kurde:
Les paradoxes du printemps kurde en Syrie, dans Politique Étrangère (2014/2, été, p.51-61)
Les Kurdes et l’option étatique, dans Politique Étrangère (2014/2, été, p.15-26)
Syrie:
La reconfiguration des espaces transfrontaliers dans le conflit syrien, Analyse Noria, février 2014 - disponible en ligne.
Le «cavalier seul» des Kurdes de Syrie, sur Orient XXI (un média intermédiaire entre journalisme et articles académiques) - mars 2014, article disponible en ligne.
La question kurde et la guerre civile syrienne (sur un carnet d'accompagnement de la recherche "Le Proche-Orient et la crise syrienne - paradigmes en débat") - disponible en ligne.
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mercredi 8 octobre 2014

Quand on refuse d'enquêter sur les criminels, mais plutôt sur ceux qui les ont dévoilé au grand jour

J'imagine que vous avez peut-être entendu parler de cette affaire, décrite par le journaliste Patrick Lagacé ce matin dans La Presse. Sinon, allez lire cet article, il est à la fois fascinant, révoltant, scandaleux et profondément inquiétant.
Ce qui y est rapporté, en gros, est un cas de police, qui intimide un journaliste (les menaces sont assez claires, d'accusations criminelles en plus) pour lui soutirer des informations sur ses sources. Or, cette police - qui utilise les fonds publics pour son enquête, évidemment - n'enquête pas sur une vaste affaire criminelle, oh que non, mais sur la/les personne/s qui ont fait en sorte que l'on sache qu'il y avait affaire criminelle.
Si on avait besoin d'un exemple plus patent que la SQ soit une police politique, on a la ministre responsable de la SQ (sécurité publique) qui suggère au journaliste de porter plainte en déontologie. Ha, ha, ha. On sait tous ce que donnent les plaintes en déontologie, les polices qui enquêtent sur la police... [On ne rappellera jamais assez que la célèbre 728 n'a jamais été blâmée pour son rôle pendant le conflit étudiant]. Cette ministre irresponsable ne s'inquiète ni de la manoeuvre d'intimidation (une spécialité du gouvernement Couillard on dirait), ni du fait que les enquêteurs perdent leur temps à courir après la personne grâce à qui on a été informé, ni encore (et c'est pire) des mensonges que les enquêteurs répandent un peu partout pour discréditer le professionnalisme du journaliste en question en tentant de le couper de ses sources par la même occasion!
J'éprouve un fort sentiment de dégoût devant autant de cynisme de la part de la police et du pouvoir, un profond écoeurement devant autant d'arrogance à nous voler, d'abord, à camoufler le crime ensuite, puis et à ne même pas se cacher pour montrer qu'on n'enquêtera pas sur le crime mais sur celui qui a révélé le camouflage. Et qui paye les voleurs et ceux qui sont payés pour ne pas enquêter à leur sujet? Hehehe, vous et moi, évidemment.
On se souviendra pourtant que ni la Commission Gomery ni la Commission Charbonneau n'auraient eu lieu sans le travail de journalisme d'enquête. Évidemment, ni la SQ ni le gouvernement Libéral (dont le placard est encore plein de squelettes puisque la commission Charbonneau a habilement évité leur cas en refusant d'appeler les personnes cités à témoigner devant elle) n'a avantage à ce que l'on sache pourquoi la SQ n'enquête jamais sur le politique.
Que diriez-vous si au lieu de poursuivre les Acurso, Vaillancourt et compagnie, responsables de nombreuses fraudes et de vols d'argent public, on poursuivait plutôt Alain Gravel, l'animateur de l'émission Enquête grâce à qui ont a appris les faits originalement? Ben dans le cas qui occupe Lagacé, c'est pas mal ça qui arrive.
La police et le monde politique au Québec sont rendu très très bas. Dé-gue-lasse.
Après les soulèvements du printemps érable et des mouvements qui ont suivis, j'ai encore du mal à comprendre comment les québécois ont pu se rembarquer aussi vite pour des années avec le PLQ et toute ces manipulations et corruptions de nos systèmes supposément démocratiques.
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jeudi 18 septembre 2014

Une pensée pour mon arrière-grand-mère Yvonne

Yvonne MacDonald, qu'elle s'appelait, mon arrière-grand-mère... une écossaise, d'où le fait que je pense à elle plus spécialement aujourd'hui, où je me sens plus écossais que de coutume :-)
Pour elle, ce souvenir de mon passage à Édimbourg.


lundi 15 septembre 2014

Deux ans plus tard... Une question refait surface.

Note: Il est rare que ce blogue commente directement des sujets d'actualités, mais en cette fin d'été, deux sujets sur lesquels j'ai déjà écrit m'interpèlent (l'Ébola était le premier, celui-ci est le second sujet), d'où ce billet.
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J'ai été tenté de chercher un agent de police qui appréciait l'ironie d'avoir à se battre contre les mesures néolibérales imposées par le gouvernement du PLQ qui monte l'opinion publique contre les policiers (et autres employés du secteur public) à grand renfort de mensonges ou de semi-vérités (*). Évidemment, c'est plus facile pour les policiers, en plus, ils n'ont personne pour les empêcher de manifester, ou pour leur taper dessus et les arrêter sans motif valable (**).

Mais l'ironie de la situation du conflit des pensions des employés du secteur public, elle me rappelle autre chose.
C'est qu'au cœur de la crise sociale qui a secouée le Québec dans la foulée du Printemps étudiant de 2012, j'avais évoqué sur ce blogue - dans le cadre d'un billet sur le risque d'effritement social – le danger derrière l'idéologie néolibérale soutenant les arguments du gouvernement pour implanter la hausse des frais de scolarité.
Ainsi, dans une réponse à un proche me demandant de «passer à autre chose» (un proche qui n'était pas directement touché par la hausse, bien sûr, mais qui était fatigué d'en entendre parler), j'avais répondu ceci :

«... Là, les politiques néo-libérales touchent les droits de scolarité et la contribution santé. Plus tard, ça sera la RRQ, puis, qui sait, la CARRA? Ne pensez surtout pas que ça ne peut pas arriver; les mêmes politiques contrôlées par les grands financiers ont justement implanté exactement cette politique (équivalent de coupure des prestations de CARRA de 50%) aux grecs. Ça se passe aussi ailleurs dans le monde. Quand ça arrivera ici, si jamais tu n'es pas dans la rue avec moi, tu seras peut-être content que j'y sois toujours, et que je ne sois pas passé à autre chose.»

Je me demande si, en cet automne 2014, deux ans après le chaud été 2012, il se souvient de mon intervention d'alors. Certes, comme il est déjà retraité de la fonction publique, le projet de Loi 3 ne le touche pas plus directement que la hausse des frais de scolarité de 2012, mais il doit bien se rendre compte (j'espère) que ce projet de Loi est un pas dans la même direction... et que ce pas est fait dans la direction des fonds de retraite dont il bénéficie justement aujourd'hui. Évidemment, le projet de Loi 3 ne coupe rien aux retraités actuels, mais c'est un pas dans la direction que j'évoquais en 2012 et il aura été franchi en deux ans seulement.
Le pas suivant viendra donc inévitablement.
Une fois que les principes directeurs sont acceptés, rien ne permettra d'empêcher le gouvernement libéral de continuer son chemin. D'ailleurs, l'argument demeure le même: on nous rabat sans cesse l'idée que le Québec n'a pas d'argent, alors que le gouvernement Libéral a offert des congés fiscaux aux grandes entreprises, aux pétrolières, aux gazières et aux banques depuis son arrivée au pouvoir en 2003, et ces congés perdurent depuis (***).
Entre temps, comme je l'évoquais dans mon commentaire de 2012, les coupures dans les pensions ont commencé ailleurs, donc rien n'empêchera d'évoquer ces exemples pour faire de même ici à court ou moyen terme. En Espagne, on a éliminé l'indexation des pensions en 2010 et augmenté les impôts (et les taxes à la consommation) en 2012. La Grèce a coupé de 50% (en deux étapes) les pensions versées aux retraités de sa fonction publique. On me dira qu'il s'agit d'exemples dans des pays aux finances désastreuses (même si cet état de fait a profité aux financiers ayant permis et causé la crise, mais c'est une autre histoire), alors je mentionnerai le Royaume-Uni, dont le Ministre des Finances (Chancellor) a annoncé que le régime de pension devrait subir des coupures en 2015.
Ici même, depuis 2012, on voit déjà des signes que l'on va s'attaquer aux pensionnés éventuellement; le Régime de sécurité de la vieillesse (Pension du Canada), universel, a déjà été modifié en 2013 et les citoyens comme moi ne pourront toucher cette pension avant 67 ans - alors que l'âge donnant droit à cette prestation était auparavant de 65 ans. Cette mesure me privera d'un revenu de pension de plus de 12 000$, alors c'est quand même une coupure importante, même si elle n'a pas été présentée comme une coupure. On incite aussi les canadiens à repousser cette pension de 5 ans (donc la demander à partir de 72 ans dans mon cas) en bonifiant les montants, un privilège dont seuls les mieux nantis pourront profiter. Et au Québec, la commission de révision des programmes ne suggèrera certainement pas de conserver intacts les régimes comme la RRQ ou les acquis des pensionnés de la CARRA. On ne coupera pas cette année, pas aussi directement, mais on commencera à parler de réforme, de modifications, de manque à gagner, et on implantera lentement l'idée jusqu'au jour où l'on dira que ces coupures sont inévitables. (C'est une technique éprouvée qui a été utilisée par de multiples gouvernements de droite pour imposer l'austérité aux classes moyennes et inférieures sans mettre leur réélection à risque).
Je me demande réellement si celui qui m'avait interpelé en 2012 saisi l'ironie de la situation, si ça l'inquiète et s'il espère que des gens s'opposeront à cette idée, lui dont la retraite, le niveau de vie et la qualité de vie dépendent en partie d'une pension de la CARRA. Je n'irai pas jusqu'à demander si dans sa circonscription de région, il a voté pour le candidat Libéral (Philippe Couillard)...
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(*) Voir l'excellent l'Épreuves des faits, qui rappelle que la pension des députés de l'Assemblée Nationale est la plus généreuse de toutes les pensions du secteur public au Québec, régime auquel le projet de Loi 3 ne s'attaque évidemment pas.

(**) La semaine dernière, plus de 500 manifestants arrêtés pendant le Printemps Érable - en mai 2012 - ont vu leur cas abandonné par la couronne, faute de dossier probant.

(***) Pendant le court laps de temps où le PQ a été au pouvoir, minoritaire, il a vaguement tenté de s'attaquer à cet aspect de la fiscalité, mais s'est rapidement fait montrer le chemin à suivre et a reculé, avant de perdre ses élections un an plus tard.
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samedi 13 septembre 2014

Épidémie d'Ébola en 2014: Appréhender la réalité grâce à la fiction

Note: Il est rare que ce blogue commente directement des sujets d'actualités, mais en cette fin d'été, deux sujets sur lesquels j'ai déjà écrit m'interpèlent (l'Ébola étant le premier), d'où ce billet.
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Introduction
L'épidémie actuelle du virus Ébola en Afrique a poussé quelques médias à se demander si on devait craindre sa propension un peu partout dans le monde. Doit-on craindre l'Ébola?
L'Épidémie actuelle d'Ébola a débuté en décembre 2013 en Guinée, mais n'a été détectée officiellement qu'en mars 2014. L'Épidémie s'étend actuellement au Nigéria, Siera Leone, Libéria et, dernièrement, au Sénégal. En termes de nombres d'humains infectés et de nombre de décès, c'est la pire épidémie d'Ébola depuis la découverte de ce virus en 1976, au Zaïre. En fait, l'épidémie actuelle dépasse en nombre de cas et de décès le total de toutes les épidémies précédentes d'Ébola, et ce malgré un taux de mortalité plus bas que dans toutes les épidémies précédentes du virus.
Donc, oui, cette épidémie est sérieuse et oui, on doit craindre sa propension. Ce qui ne veut évidemment pas dire de paniquer en lisant ceci, confortablement installés dans votre salon en Amérique du Nord ou en Europe, les dispositifs et procédures sanitaires d'urgences en occident sont relativement développées et peuvent faire face à ce genre d'épidémie en minimisant son étendue... en principe, évidemment, puisque nous n'avons jamais fait face à a menace réelle d'Ébola (je parle du Québec et du Canada, par exemple).
On peut par contre se rabattre sur les oeuvres de fiction pour comprendre comment se déroulerait les événements en cas d'épidémie d'Ébola en occident.
Au fil des décennies écoulées depuis 1976, plusieurs oeuvres de fiction, littéraires et cinématographiques ont mis en scène des maladies causées par des virus dévastateurs, ou encore des épidémies, généralement contrôlées à des fins dramatiques. L'émergence du Virus d'Immunodéficience Humaine (VIH), causant le Sida, a contribué à la prolifération des oeuvres de ce genre depuis les années 80. L'émergence du VIH a aussi contribué à la conscientisation de la population face aux réels dangers que posent les virus.

Bref retour en 1997
En 1997, dans le cadre d'un article publié dans la revue Solaris (1), j'explorais les points communs entre réalité et fiction, en documentant nos connaissances sur le virus Ébola et en utilisant comme cas-type le roman The Stand (Le Fléau) de Stephen King, publié en version courte en 1978 et réédité en version intégrale en 1991. Lorsque Stephen King a publié The Stand pour la première fois en 1978, la réaction générale du public a été favorable au roman en tant que fiction, mais tous les lecteurs s'accordaient à dire que la situation décrite était fortement improbable, voire même impossible. Imaginer un virus aussi destructeur ayant la propriété d'être extrêmement contagieux, tout en se propageant par voie aérienne était tout bonnement trop effrayant. Sauf qu'en 1978, le VIH était méconnu, pour ne pas dire inconnu et le virus de King semblait relever du surnaturel. En 1991, lors de la réédition du roman, après une décennie marquée par le sida, l'aspect terrifiant du virus était moins perturbant, puisque des virus semblables paraissent nettement possibles aujourd'hui. Et de tels virus existent bel et bien, l'Ébola étant l'un d'entre eux et en fait aujourd'hui la preuve dans 4 pays d'Afrique. Ébola est d'ailleurs le plus terrifiant de ces virus.

Le virus de la Grippe A imaginé par Stephen King dans The Stand
Plusieurs éléments concernant le virus fictif mis en scène sont fournis dans le roman de Stephen King: symptômes provoqués, mode de transmission, degré de contamination et de mortalité, etc. Examinons donc ces données en détail.
Le virus de King semble être une mutation du virus de la grippe, qui est appelée «Grippe A», dans le roman. Il s'agit d'un virus aérogène, c'est-à-dire transmissible par voies aériennes, et qui comporte un degré de contamination de 99,4%. Bref, un virus très facile à transmettre d'un individu à l’autre. L'épidémie déclenchée dans le roman ne prend pas son origine dans un contact avec un réservoir naturel du virus. Il s'agit d'un virus étudié (ou créé) dans un laboratoire militaire. Un accident survient, un problème de sécurité, des réactions bien humaines, et voilà qu'un homme infecté se sauve, porteur du virus. C'est le «cas originel» du roman; le personnage du gardien Campion.
Campion demeure «négatif» pendant plus de cinquante heures. Il est parti du désert de l'ouest de la Californie et se rend sans trop de problèmes jusqu'à Salt Lake City. Deux jours plus tard, il arrive au Texas, où il s'arrête et meurt des suites de l'infection. Bien évidemment, Campion a infecté sa femme et sa fille, en plus d'un nombre incalculable de personnes sur sa route.
Les symptômes du virus inventé par King sont les suivants: un peu de toux et de migraine pour commencer, perte d'appétit, puis la toux devient plus sévère, accompagnée de sécrétions. La fièvre prend le dessus, le cou se gonfle, les yeux noircissent, le nez coule... Finalement, la respiration devient difficile, avec des gargouillis, «comme si quelque chose clapotait au fond de [la] poitrine», puis le patient décède. Le tout se passe rapidement. On peut le déduire évidemment du fait que Campion et sa famille sont morts en quelques jours, mais aussi par des descriptions du laboratoire militaire, où les gens sont morts assez vite pour être simplement demeurés un peu partout dans la base. Bref, ils sont morts sur place, très rapidement. L'autre exemple évident est celui de cette insoutenable scène dans le Tunnel Lincoln, où des centaines de gens sont morts dans leur voiture...
Avec un taux de contamination de 99,4%, le virus imaginé par King peut se propager très rapidement. L'épidémie qu'il a imaginée est crédible, compte tenu de la description de son virus.
Mais une telle mutation de la grippe est-elle possible? Peut-être. La grippe espagnole qui a fait de nombreuses victimes au début du siècle en est une preuve. Heureusement, elle était moins dévastatrice et se propageait moins rapidement que le virus de King. Sauf que la grippe n'est pas le seul virus pouvant être potentiellement mortel pour l'humain. Nous connaissons aujourd'hui une famille entière de virus qui atteint des taux de mortalité épouvantables; les filovirus, dont Ébola fait partie.
Il existe plusieurs souches (ou variétés) du virus provoquant la fièvre Ébola; la souche originalement identifiée comme Ébola Zaïre porte aujourd'hui le nom de virus Ébola, et c'est elle qui fait actuellement les ravages qui font la manchette quotidiennement. Dans des épidémies précédentes, le virus Ébola était mortel pour 90% des humains infectés. La variété Soudan tuait quand à elle 60% des gens infectés. Bref, Ébola est un fléau éradicateur presque digne du roman de Stephen King.
Les symptômes de la fièvre Ébola ressemblent également à ceux mis en scène par King dans son roman en 1978. En fait, Ébola démolit d'abord le système immunitaire (comme le fait le VIH). Sauf que l'Ébola est cent fois plus rapide. Une fois le système immunitaire mis k.o., le virus a la voie libre pour se multiplier à une vitesse effroyablement destructrice. Même s'il s'y prend différemment, la destruction du système immunitaire que le sida met dix ans à accomplir, L'Ébola l'accomplit en dix jours.

D'où vient l'Ébola?
Toutes les recherches indiquent que la forêt vierge d'Afrique abrite les réservoirs naturels de l'Ébola. Ces réservoirs peuvent être n'importe quel organisme vivant, des unicellulaires (quoique ce soit peu probable ici) aux vertébrés, en passant par les insectes. Il y a des dizaines de milliers d'espèces dans ce coin du monde. Ça complique la recherche. Actuellement, plus de 3000 espèces animales et des dizaines de milliers d'insectes font l'objet de recherches fouillées. Géographiquement, les recherches ciblent la région du mont Elgon, près de la vallée du Rift. (Il est ironique que l'organisme qui pourrait pratiquement éradiquer l'humain de la planète a ses origines dans un endroit voisin de celui des origines de l'humain...).
Bref, en plus de ne pas connaître l'hôte principal, on ne sait pas précisément où chercher ce réservoir. Des expéditions passées ont échoué dans des recherches semblables. Les résultats n'ont pas été publiés.
Mais même si l'on est incapable de le voir venir, l'Ébola surgit de nulle part et frappe périodiquement.

Les épidémies
Dans The Stand, Stephen King nous brosse une épidémie dévastatrice. L'élaboration littéraire de son épidémie est une brillante démonstration de la propagation d'un virus tel que celui mis en scène par King. Un virus à haut taux de contamination et qui tue rapidement.
Dans le roman, Campion est le cas initial de l'épidémie (oublions les autres personnes contaminées et mortes à l'intérieur de la base militaire, Campion ayant été le seul à sortir avec le virus). Il contamine, entre autres, le petit groupe d'amis de la station-service d'Arnette, Texas, groupe qui comprend le propriétaire, Hapscomb. Le lendemain, le cousin du propriétaire, Joe Bob, se pointe à la station pour être contaminé par Hapscomb. Ce cousin est policier et il traverse la moitié du Texas... Et voici comment King décrit le processus de contamination:
«Le 18 juin, cinq heures après avoir parlé à son cousin Bill Hapscomb, Joe Bob Brentwood arrêta une voiture (...) Il s'agissait de Harry Trent de Braintree, agent d'assurance. (... ) Et il donna à Harry Trent beaucoup plus qu'une simple contravention. Harry Trent, un homme sociable qui aimait son travail, transmit la maladie à plus de quarante personnes ce jour-là et le lendemain. (...) Le 19 juin, Harry Trent s'arrêta pour déjeuner chez Babe's Kwik-Eat, dans l'est du Texas (...) il infecta Babe, le plongeur, deux routiers, le livreur de pain (...) Quand il sortit, une voiture arrivait, remplie à craquer d'enfants et de bagages. (...) Plaque de New-York. Le conducteur avait baissé sa vitre pour demander à Harry (...) Le NewYorkais était Edward M. Norris, lieutenant de police. (...) Ils passèrent la nuit dans un motel d'Eustace, dans l'Oklahoma. Ed et Trish infectèrent la réceptionniste. Les petits (...) infectèrent les enfants qui jouaient sur le terrain de jeu du motel — des enfants qui se rendaient dans l'ouest du Texas, en Alabama, en Arkansas et au Tennessee. (...) Aux petites heures du matin, Trish réveilla Ed pour lui dire que Heck, le bébé, était malade. (...) À deux heures de l'après-midi, ils étaient dans la salle d'attente du docteur Brenden Sweeney. Ed avait commencé à éternuer lui aussi. La salle d'attente était pleine. (...) dans la salle d'attente, ils transmirent la maladie (...) à plus de vingt-cinq personnes, dont une solide matrone qui était simplement venue payer ce qu'elle devait au médecin. Avant de transmettre la maladie à tous les membres de son club de Bridge. (...) Cette solide matrone était Mme Robert Bradford, Sarah Bradford pour ses amis (...). Elle et Angela allèrent prendre un verre (...) elles réussirent à infecter tous ceux qui se trouvaient dans le bar dont deux jeunes hommes (...). Le lendemain, ils repartirent en direction de l'ouest, en répandant la maladie sur leur passage. Les réactions en chaîne ne sont pas toujours faciles à amorcer. Celle-ci ne se fit pas prier. (...) Sarah rentra chez elle pour infecter son mari, ses cinq amis qui jouaient au poker avec lui, et leur fille, Samantha (...). Le lendemain, Samantha allait infecter toute la piscine de Polliston. Et ainsi de suite.»
Les épidémies ne sont que ça: des réactions en chaîne. Elles sont aussi étendues que le permettent les conditions, dont le taux de contamination et le mode de transmission. Ainsi, il s'est produit plusieurs épidémies d'Ébola au fil des années...
La première épidémie connue d'Ébola a eu lieu au Zaïre, en septembre 1976. L'épidémie a débuté dans un hôpital de mission, à Yambuku. L'Ébola s'est déclaré presque simultanément dans 55 villages de la région. 280 personnes atteintes, avec un taux de mortalité de 90%. L'Ébola devenait alors le micro-organisme le plus «mortel» après la peste bubonique. L'épidémie a été contenue par des mesures de quarantaine très sévères. Le virus disparut complètement sans que l'on ne sache d'où il était venu. On baptisa le virus Ébola, du nom d'une rivière affluent du fleuve Congo, tout près de «l'épicentre» de l’épidémie.
L'épidémie suivante a eu lieu au Soudan, toujours en 1976. Une souche légèrement différente, et moins virulente, avec un taux de mortalité de 60%. Puis, une autre épidémie au Zaïre en 1977, puis de nouveau au Soudan, en 1979. À chaque occasion, la seule solution fut la quarantaine. On place les patients en isolement complet et on attend! La majorité meurent, les autres survivent. Le virus, une fois l'hôte mort, ne survit pas très longtemps. Fin de l'épidémie. Par la suite, quelques cas isolés seulement, jusqu'en 1990.
C'est en effet au moment de la sortie du film Outbreak à l'été 1995 que, comme pour narguer les humains, l'Ébola frappa encore une fois. Et cette fois, c'est bien l'Ébola Zaïre. Le virus infecta 315 personnes. 244 moururent. La baisse du taux de mortalité est due à un traitement au sérum sur plusieurs victimes. Le traitement au sérum d'Ébola Zaïre semble donc atténuer l'impact du virus et c'est depuis cette épidémie que l'on utilise ce genre de traitement pour tenter de sauver les personnes infectées.
D'autres apparition d'Ébola ont depuis été contenues; Côte d'Ivoire, Gabon, Ouganda, on a même eu des cas de primates infectés aux Philippines et en Chine, mais par une souche (Reston) quasi inoffensive pour l'humain.

Conclusion
Après avoir pris connaissance des manifestations de l'Ébola parmi les humains, on peut relever quelques remarques intéressantes. Tout d'abord, on remarque que l'incroyable virulence d'Ébola nuit à son amplification dans la population humaine. En effet, le virus tue tellement vite que la contagion n’a pas le temps de se propager largement. Cet élément est important car il permet de contenir le virus par des mesures de quarantaine efficaces. Les procédures de quarantaine appliquées jusqu'à présent sont donc de plus en plus efficaces pour limiter ou empêcher la propagation du virus loin du center de l'épidémie. Par comparaison, le VIH s'est propagé lentement mais sûrement parmi toute la population mondiale et l’amplification se poursuit toujours. On remarque que c'est d'ailleurs un des problèmes majeurs de l'épidémie de 2014; la difficulté de contenir la propagation par la quarantaine, en grande partie à cause de résistance locales et culturelles ou par un manque d'éducation ou de confiance de la population locale face aux autorités ou aux ONG qui tentent d'intervenir.
En 1997, je mentionnais que «l'Ébola est une forme de vie qui existe depuis très longtemps. Il est fort possible que l'Ébola survivra à l'humanité sur Terre. En fait, c'est peut-être l'organisme qui causera la disparition éventuelle des humains. Ce ne serait certainement pas la première fois qu'un virus de ce type cause la disparition d'une espèce».
Sans devoir paniquer pour autant, je vous invite à voir (ou revoir) l'excellent film du cinéaste Steven Soderbergh (sortie en 2011), Contagion, certainement l'oeuvre de fiction la plus crédible sur une propagation de virus mortel dans une société occidentale qu'il m'ait été donné de voir. Le film montre bien comment fonctionne la contagion, quelles sont les procédures en place dans les pays occidentaux pour y faire face le cas échéant, et comment ce genre de suivi et de quarantaine est essentiel pour arrêter le virus. Il n'y a généralement que deux autres moyens de voir la fin d'une telle épidémie; soit le virus contamine tout le monde et ne laisse que les survivants sur son passage, soit qu'à force de subir des mutations, il fini par s'amenuiser de lui-même en effectuant une mutation ou un changement qui défavorise sa propagation.
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(1) Cet article est une adaptation de Virus: Réalité et fiction dans The Stand, de Stephen King, Solaris 122, été 1997.